Seth Messenger : Mon nom est Pierre

(Langue maternelle)
Mon nom est Pierre
(Par Seth Messenger)

C'est bizarre le monde.

D'abord, ça n'a ni queue ni tête. Personne n'est sûr que ça ait commencé un jour et pas plus de monde n'affirmerait que ça se terminera un jour. Partout sur la planète, c'est bien connu, l'on s'imagine toujours que l'on a la vie devant soi. Bien sûr, de temps à autre, on aime à se donner des frissons. On s'imagine renversé par un chauffard, victime d'un infarctus ou d'une chute inopinée d'un morceau de station orbitale russe sur le coin de la figure.

Mais en vérité, l'on arrive jamais à s'imaginer réellement la fin. Si on y parvient, c'est qu'on est mort. Enfin, c'est mon avis quoi. Il n'a pas d'autre valeur que celle que vous voudrez bien lui attribuer, si vous le voulez bien.

Donc, disais-je, c'est bizarre le monde.

Déjà, y a qu'à voir le bordel que c'est au niveau des langues. D'un coin à l'autre du globe, personne ne parle plus la même langue. Du coup, avec l'immigration et tout ça, plus personne y se comprend. Par chez moi, c'est d'un quartier à l'autre qu'il faudrait un traducteur, dès fois. Mais c’est comme ça le monde. On change de pays pour trouver du boulot, du rêve ou pour fuir ceux qui tuent au nom d'un Dieu qui est amour, d'un dirigeant qui veut la paix... sur son petit lopin de planète.

Ouaih, les gens fuient, cherchent.

La mobilité démographique, ça s'appelle. Evidemment, on pense toujours que c'est mieux chez le voisin, quand on pense. Parce qu’y en a aussi qui ne pensent pas, de plus en plus. Ceux-là, ils se lèvent le matin pour aller à l'école, au boulot et ils rentrent chez eux le soir pour converser jusqu'au sommeil avec la télévision. Les jours se succèdent. Et puis un jour, ils sont vieux. Métro, boulot, dodo. Pourquoi pas, après tout ?

Ah, le boulot. C'est un truc vachement bizarre.

Si t'en a pas, t'existes pas. Tu manges dans les poubelles et tu bois dans les bouteilles de Whisky. Et puis aussi, tu pus. Enfin, tu le crois ou tu le crois pas, tu deviens invisible. Les autres gens, ceux qui travaillent, ils te voient plus, t'entendent plus. Même l'odeur de poubelle que tu trimbales ils ne peuvent pas la blairer.

Quand t'as pas de boulot, dès fois t'as tellement eu faim et froid que t'arrives à t'imaginer la fin de tout ça. Et là, ça veut dire que tu sais enfin quel goût ça a les racines de pissenlit. Tu reposes en paix, et ta carcasse puante est enfin utile aux larves de mouches qui ont faim elles aussi.

Mais ça vaut peut-être mieux pour toi, après tout.

Quand t'en as, du boulot, tu passes tout ton temps à gagner de l'argent que tu utilises pour acheter plein de trucs débiles dont t'as aucune utilité. En plus, t'es pas jouasse, parce qu'en face de toi y a toujours un gars qui gagne plus et peut s'acheter encore plus de machins inutiles que toi. Et tu voudrais bien pouvoir aussi, alors tu bosses plus. Tu dors moins, tu te fatigues plus et tu vis de plus en plus mal avec de plus en plus de trucs inutiles qui s'entassent chez toi. Tu sais même plus où mettre les pieds.

En plus, quand t'as du boulot, tu fais tout pour le garder.

T'as pas envie de devenir invisible ou de te transformer en Canigou pour larve de mouche, par une belle soirée d'hiver. Alors tu ravales ta dignité, tu rabotes ta personnalité et tu scies tes rêves qui dépassent. Il faut plaire à ton patron qui, lui aussi raboté par la philosophie du travail pour le travail, s'avère être un parfait trou du cul. Souvent constipé, de surcroît. T'es malheureux au boulot, stressé dans les transports en commun et t'as plus le temps de vivre à côté. Dès fois, tu te demandes si ce ne serait pas mieux d'ouvrir ta propre fabrique de Canigou, d'entrer à fond dans le système et, enfin, devenir patron à ton tour. Tu t'es déjà pas mal raboté de partout pour entrer dans le moule ; le plus dur, ce sera d'apprendre l'art de la constipation.

Ou bien, tu peux choisir de devenir, à ton tour, un de ces si fringants spectres éthyliques. Comme les anges, tu seras invisible. Seuls les enfants te verront. Ils te diront que t'es qu'un clodo qui pue la gnôle, si t'arrives à t'en procurer, histoire de te réchauffer un peu le corps et l'esprit, avant le grand final. Au moins, t'auras du temps à toi, tu seras libre. C'est tout ce qu'il te restera.

Ouaip.

C'est comme ça le monde. Un grand village planétaire où personne y parle la même langue, mais où on a tous en commun deux choses. La première, c'est qu'on est toujours seul. La seconde, c'est qu'on veut tous du boulot pour pouvoir s'acheter plein de trucs pour se sentir moins seul. Enfin, y en a quand même qui ont pensé à un truc génial. Ils ont appris la langue de l'autre. Du coup, ils peuvent communiquer, pour être moins seuls. Mais faut quand même qu'ils travaillent, pour manger. Alors ils ont plus le temps de communiquer.

Mais ça a pas toujours été comme ça, tu sais, le monde.

Bizarre, je veux dire. Avant, y a des lustres et des lustres, on travaillait pour vivre, selon ses besoins et ses envies. On avait le temps. Vivre ça s'appelait. Les choses étaient moins bizarres, et la vie avait beaucoup de sens, de richesse.

Aujourd'hui, on ne travaille plus pour vivre. On survit pour travailler.

Mais on se console, parce qu'une petite, une infime poignée d'entre nous s'en tirent bien. Eux, ils n’ont pas besoin de travailler pour vivre. Et, comme ils n’en ont pas l'envie non plus, ils se contentent de vivre sur le dos des autres. Pour ceux-là, la vie n'a pas de prix. Elle est gratuite. Tout ça, la bizarrerie du monde, c'est donc peut-être un mal pour un bien ? Non ?

Sûrement, oui. Sinon, on n’aurait pas fait du monde ce qu'il est. On n’est quand même pas idiot.

Le bonheur insipide de quelques privilégiés justifie bien la misère matérielle ou spirituelle de plusieurs milliards d'autres, non ?

Sûrement, oui.

Sûrement.

Qui suis-je pour mettre en doute la sagesse collective ? Le caractère si bizarre du monde ?

Enfin, ce que j'en dis, moi, c'est pour vous. Personnellement, le monde me plaît bien. J'y tiens ma place, stoïquement. Et vous savez pourquoi ?

Non ? Je vais vous le dire. C'est parce que mon nom est Pierre. Enfin, ce n'est pas vraiment mon nom, ni mon prénom d'ailleurs. En fait, Pierre, c'est ce que je suis. Une pierre, un caillou. C'est pour ça que le monde me plaît bien, même s'il est bizarre.

Et vous ? Qu'êtes-vous ?

 

Philippe Jouy a.k.a Seth Messenger, terminé le mercredi 21 juillet 1999.

Le contenu de cette page a été mis à jour pour la dernière fois le samedi 7 janvier 2023.
Il était alors 16:51:28 (Heure de Paris, France, planète Terre - Univers Connu).
mandarin : 你的预感 | français : Mon Ange | anglais : My angel | mandarin : 拉兰德 | espagnol : Una corazonada de ti | allemand : Neuigkeiten hinter der Scheibe. | anglais : To the wrath of the righteous | français : Une intuition de toi | français : Qui est Seth Messenger ? | mandarin : 正义的愤怒 | anglais : You would like to read more? | français : Mon nom est Pierre | français : Patience | anglais : A hunch of you | anglais : The Wait | allemand : Wer ist Seth Messenger? | allemand : Mein Engel | anglais : New beginning | allemand : Die Lande | espagnol : Mi nombre es Peter | allemand : Auf die Wut des Gerechten | espagnol : La Lande | français : Aux colères du juste | espagnol : ¿Quién es Seth Messenger? | anglais : My name is Pierre | mandarin : 来自玻璃后面的消息 | espagnol : Va a pasar cerca de ti. | français : Ca arrivera près de chez vous | espagnol : Nuevo comienzo | allemand : Neuer Anfang | anglais : Who is Seth Messenger? | mandarin : 耐心 | anglais : The Moor | allemand : Geduld | espagnol : Paciencia | anglais : It's going to happen near you | mandarin : 我的天使 | français : La Lande | espagnol : A la ira de los justos | mandarin : 我叫彼得 | espagnol : Noticias desde detrás del cristal | anglais : News from behind the glass | mandarin : 你想多读些吗? | allemand : Mein Name ist Pierre. | allemand : Möchten Sie mehr lesen? | français : Nouveau départ | espagnol : Mi ángel | français : Vous aimeriez en lire d'avantage ? | allemand : Es wird in Ihrer Nähe passieren. | mandarin : 赛斯信使是谁? | français : Des nouvelles de derrière la vitre | espagnol : ¿Le gustaría leer más? | allemand : Eine Ahnung von dir | mandarin : 它会发生在你附近。 | mandarin : 新开始 |
NouvellesCitations 

Découvrez Quootes.fr, le site pour les citations et ceux qui les aiment.

Vous y trouverez plus de quarante mille citations en langue française ainsi que leurs traductions générées automatiquement par intelligence artificielle.

Découvrir

Découvrez Coohorte, le réseau social privé qui donne voix à vos textes.

Faites connaître et transformez votre texte en audio grâce à l'intelligence artificielle.

Découvrir