De derrière la vitre, il voit la Lune.
L’astre se trouvant exactement dans le prolongement du soleil et de la planète Terre, c’est une Lune pleine qui s’expose à ses yeux. Il la voit, elle et elle seule, ignorant les étoiles qui l’entourent, subjugué par son imposante clarté. Ses cratères et sa face sombre n’ont aucun secret pour lui, pas plus que cette historique empreinte de pied, posée à jamais sur ce sol d’argile, et qu’aucun vent ne viendra jamais effacer.
Les mains posées sur cette vitre qu’il sait inaltérable, Celui qui n’a pas de nom regarde le monde du dehors. Il y voit bien mieux qu’avec ses yeux embués de larmes, il y voit au-delà des apparences. Il ne sait pas comment, ne l’a jamais su et ne le saura probablement jamais. La seule chose qu’il sache, en fait, c’est que c’est là l’unique chose qu’il ait jamais pu faire : voir.
Un immense nuage de brume nocturne vole jusqu’à entamer l’ovale lunaire dans le ciel. C’est un nuage cannibale, né d’une élévation subite de la température d’un courant marin de surface, au cœur de l’océan pacifique. Il a erré dans la stratosphère pendant des semaines, avant d’arriver ici, devant sa fenêtre, pour se repaître de l’image de la Lune.
Celui qui n’a pas de nom voudrait tant pouvoir briser la vitre, pour aller écarter cet odieux nuage de sa Lune. Ses poings, crispés d’impuissance, témoignent de sa frustration. Une frustration toujours plus grande, plus insidieuse, jour après jour, et nuit après nuit. Sortira-t-il un jour d’ici ? Y a-t-il vraiment un monde pour lui, au-delà de la vitre ? D’aussi loin qu’il se souvienne, sa prison de verre a toujours été là, l’autorisant à contempler le dehors pour mieux l’en priver. Et, s’il n’a pas de nom, c’est parce qu’il n’y a jamais eu personne pour lui en offrir un.
Il ferme les yeux, étouffant les sanglots qui le submergent à la mémoire de cet instant, si rare, où quelqu’un l’avait aperçu. Quelqu’un qui vivait de l’autre côté de la vitre. C’était une journée chaude, au cœur de l’été, dans un parc français. Il s’appelait Kevin, mesurait moins d’un mètre, pleurait souvent la nuit car il faisait ses dents. Sa maman le prenait alors dans ses bras, lui dorlotant le front de ses baisers. Elle sentait bon la vanille, et de légères fossettes de compassion apparaissaient sur ses joues lorsqu’elle murmurait de la tendresse contre le front de Kevin. Oui, cet après-midi-là, le bébé l’avait vu. D’un coup, il avait fixé son petit regard gris sur lui et une expression étonnée s’était peinte lentement sur son jeune visage. Et puis, la femme à l’odeur de vanille était arrivée, l’avait pris dans ses bras, pour l’emmener loin de Celui qui n’a pas de nom et qu’elle ne pouvait pas voir.
Sans énergie, il frappe du poing contre la vitre.
Des larmes minuscules coulent tortueusement le long de ses joues cadavériques, faute d’ensoleillement. Dans chacune d’elles, la Lune se reflète, accompagnée de ses milliards de petites sœurs. Les étoiles. Celui qui n’a pas de nom se sent faible, à présent. D’un pas traînant, il s’approche du lit sans drap qui constitue l’unique mobilier de cette pièce minuscule qu’il n’a jamais quittée. S’y affalant lentement, sans conviction, il braque à nouveau ses yeux vers la vitre. Il sait qu’il ne dormira pas, qu’il n’en a pas besoin. Mais c’est un rituel pour lui, un moyen de lutter contre cette sensation d’éternité qu’il éprouve à chaque instant. Il offrirait cette éternité entière pour quelques minutes de vie en liberté, derrière la vitre. Personne, à sa connaissance, n’a jamais accepté cette offre. Quelqu’un l’a-t-il seulement entendue, à par lui-même ?
La vitre.
Elle est toujours impeccable, aussi transparente que l’air de la Terre. Il n’a jamais réussi ne serait-ce qu’à la rayer. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Impossible de la briser, de la dévisser, ou même de l’arracher de ses gonds. C’est une vitre à l’image de la sensation qui l’accompagne à chaque instant, éternelle. L’éternité sans aucune autre liberté qu’observer l’infinité de celles qui lui sont refusées.
Celui qui n’a pas de nom ferme les yeux sur son sort, ferme l’esprit qui voit au-delà des apparences. Sur son visage clos, la Lune pose sa lueur, au travers de la vitre. On croirait presque à de la compassion, la compréhension d’un astre mort pour une créature qui ne rêve que de vivre.
Lorsqu’il rouvre les yeux, Celui qui n’a pas de nom se rend compte que la Lune l’a abandonné. Derrière la vitre, un soleil matinal brille sur le parc national de la Vanoise. Çà et là, différentes espèces animales protégées s’éveillent. Un cerf s’ébroue, à côté d’un plant de myosotis. Une petite fourmi se hisse courageusement hors du sol, afin de réchauffer ses membres, pour ensuite aller partager sa chaleur avec ses sœurs. Haut dans le ciel, un aigle passe en planant. Son regard perçant déjà à l’affût d’une proie à offrir à sa progéniture demeurée au nid, quelque part, sur le rebord d’une corniche escarpée.
Le regard émerveillé par la complexité du vivant, sa beauté parfois cruelle, mais toujours magnifique et porteuse de sens, Celui qui n’a pas de nom observe toute cette agitation, loin des villes bruyantes. L’effervescence de la vie. La vie qui trouve toujours son chemin, en trace sans cesse de nouveaux. La vie, ce générateur de libertés exponentielles.
La matinée passe vite, car elle est riche de choses à voir. De choses à voir, au-delà des apparences. Et, lorsque le soleil s’appesantit sur l’horizon, Celui qui n’a pas de nom sent son cœur se presser. Car il sait qu’il va la voir à nouveau.
Assise en tailleur dans l’herbe, elle tient dans ses mains un bloc de papiers vierges.
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