Seth Messenger : Citations de Régis Debray

Régis Debray a dit :

(Langue maternelle)
Régis Debray
(Citations)
#41245
Une société sans croyance forte est une société qui meurt.

Régis Debray
(Source inconnue)


#41246
“Le mur interdit le passage, la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer (…) les pores font respirer la peau comme les ports, les îles et les ponts, les fleuves. (…) Gardienne du caractère propre, remède au nombrilisme, école de modestie, aphrodisiaque léger, pousse-au-rêve, une frontière reconnue est le meilleur vaccin possible contre l’épidémie des murs. Opposant l’identité-relation à l’identité racine, refusant de choisir entre l’évaporé et l’enkysté, loin du commun qui dissout et du chauvin qui ossifie, l’anti-mur dont je parle est mieux qu’une provocation au voyage : il appelle à un partage du monde.”

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41247
Renoncer à soi-même est un effort assez vain : pour se dépasser, mieux vaut commencer par s’assumer.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41248
Malraux a noté que "le monde moderne porte en lui-même, comme un cancer, son absence d'âme."

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41250
L'euro est un billet de Monopoly, sans date, sans lieu ni devise, illustration fantomatique d'un no man's land incorporel. Le dollar incarne une mémoire et un territoire, avec une géographie, une généalogie ( les Pères fondateurs ) et une métaphysique ( in God We trust ).

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41251
Toute frontière, comme le médicament, est remède et poison. Et donc affaire de dosage.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41252
Même si son détenteur est un saint, tout pouvoir tend à l'excès.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41253
Pour les corps et les âmes, la lutte de la lenteur contre la vitesse, véritable enjeu de survie, a partie liée, dans notre civilisation, avec les capacités du temps littéraire de résister aux défonces stroboscopiques de l'image et du son. Si cette ligne de défense cède, c'est la victoire de la gondole et du cul d'autobus. Comment échapper aux cadences de plus en plus infernales du fast-food, du fast thinking, etc., à consommer sur place et en un clin d'oeil ? Dans le tout-info, digression interdite, flânerie déconseillée, time is money. Avec la peinture et la sculpture, la littérature apparaît comme l'une des plus performantes machines à décélérer. Malgré les formules de la lecture dite rapide, de prélèvement et de picorage, malgré les digests et les extracts, le temps de la lecture reste incompressible, comme celui de la rotation de la Lune et du Soleil. Pour aller de Paris à Madrid, nous mettons cent fois moins de temps qu'un contemporain de Cervantès, mais pour lire Don Quichotte de part en part, nous mettons à peu près le même temps. Le temps intérieur de la méditation poétique de l'existence (...) a échappé aux moyens de locomotion. Ce monstrueux, cet irrémédiable décalage ne rend pas la lecture des classiques très commode, mais peut la rendre attrayante, par contraste, et de plus en plus précieuse pour le rééquilibrage physique et mental de nos organismes déstabilisés par l'incohérence et l'effervescence. Le présent a gonflé. Il est devenu obèse. Il a mangé le passé et l'avenir. Le dégonfler est une nécessité - et un plaisir. Les médias opèrent à coups de stimulations sans mémoire et d'impacts sans avenir ; la littérature desserre l'instant , et met de la syntaxe là où nous nous habituons à une rhapsodie de surprises sans débouchés ni conséquences. L'ordinateur réduit la profondeur du temps, un livre d'auteur prend son temps. C'est un maximum de durée dans un minimum de volume - avec un rapport temps/espace, comme on dit qualité/prix, jusqu'ici imbattable" (page 130-131)

Régis Debray
(Modernes catacombes)


#41255
Un peuple, c’est une population, des contours et des conteurs

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41256
"L'écriture est une tentative de prolongement, mais bientôt les hommes cesseront de lire pour se contenter d'écouter ou de regarder. Ou alors, dans le meilleur des cas, ils liront des légendes sous les images ! Je crois que l'âme est celle d'une communauté, d'un peuple, d'un devenir. J'aimerais plutôt me relier à l'âme de l'Europe, si elle en avait une ou si elle ne l'avait pas perdue. En revanche, je suis sûr que la France aura toujours une âme, parce qu'il restera toujours une langue, une histoire et une géographie, des fleuves, des montagnes, un cadre physique, des monuments qui dureront." Régis Debray : “Il y a de la sauvagerie dans l'air” Publié le 08/01/2020 dans La Vie

Régis Debray
(Source inconnue)


#41261
Quand la question des moyens évince celle des finalités, et que la gestion de l'outil devient sa propre fin, les choses perdent leur sens, l'Etat de droit sa raison d'être, et l'homme son chemin. Trois exemples à domicile de cette subversion managériale: la Défense, la Culture, l'Ecole. Trois noblesses humiliées.

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41262
Un espoir : si 'l'interprétose' est la névrose propre à l'exégète, elle n'a rien d'incurable. On a vu des personnes fort atteintes qu'a requinquées une plongée dans les villages de la 'Mother India'. Une visite à "la mère de toutes les religions" est à conseiller aux 'addicts' prudes du Logos. Rien de tel, pour re-synthétiser nos analysants, que la fête des lumières à la fin de la mousson, ou la procession du char vishnouiste, avec le luxe de couleurs et d'odeurs propres aux mela et yatra, les fleurs et les nourritures, les bijoux et les danses, Éros et Thanatos joyeusement embrassés. Voir les servantes du dieu Shiva s'incliner devant le linga-yoni du seuil et les nymphes aux seins rebondis des Kama-sutra de pierre rappelle à nos esprits d'éternels écoliers qu'il est des avenues vers le divin moins escarpées et plus fleuries que les défilés gris du signifiant.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41263
Le déphasage entre discours et conduites, qui ne date pas d'hier et ne finira pas demain, suscite dans notre "communauté internationale" un effet tragi-comique, tels ces films mal doublés où la bande-image fait des niches à la bande-son. L'acteur est un schizo de bonne foi. Le spectateur en rit, sûr que cela n'arrive qu'aux autres. Mais le moment venu, il sera sujet au même décalage. Le républicain français à chapeau melon, qui vantait l'égalité de tous devant la loi en privait sa moitié féminine sans mauvaise conscience aucune, et ce chantre de l'Égalité promouvait tranquillement l'inégalité dans l'Empire (le statut de l'indigénat distinguait entre sujets et citoyens). Tel apôtre des droits de l'homme, 'globe-trotter' infatigable, fera spontanément l'impasse sur les violations commises par sa communauté de référence. Lui fait-on remarquer cet angle mort sur son écran-radar qu'il sursautera : "On ne peut pas comparer." Avec les nôtres, c'est toujours autre chose. La juste réciprocité s'arrête où l'intérêt et l'affect commencent.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41264
L'appartenance confessionnelle cimente un groupe humain comme ne le fait pas la science, et le sépare de son voisin mieux qu'un conflit d'intérêt. Chaque canton se serre les coudes, en face à face avec son rival. Solidarité entre nous, animosité envers eux, sont le pile et le face d'un travail sans fin d'immunisation collective. Impossible de faire éprouver aux miens "la douceur d'être inclus" sans infliger à d'autres la douleur d'être exclus. Ce chaud-froid, ce blanc-noir des identités à la fois vivifiantes et mortifères, nos professions de foi humanistes les récusent, mais aucune culture n'y échappe sur la durée, qu'elle ait un Dieu, plusieurs ou aucun.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41266
La fondation anhistorique des Droits de l'Homme, sans l'appui d'une mémoire, postule à l'assentiment de tous les êtres doués de raison. Elle semble neurologiquement optimiste, et son caractère praticable, en-dehors de nos amicales académiques, laisse à 'désirer'. La lénifiante proposition fait un discours bienvenu dans un colloque, mais en vain cherchera-t-on une personnalité collective qui ait transformé pareille apesanteur en moteur. Les adhérences et les attachements paléo-limbiques, point trop n'en faut, certes, mais à ne rien leur concéder du tout, on leur prépare de redoutables retours en force. Le réalisme du surréel n'ayant pas droit de cité où s'affaire la raison instrumentale, "l'agir communicationnel" continuera de jargonner en rond, via débats, articles et antithèses. Pendant ces travaux conventionnels, le délitage de l'artefact juridique continue, et les affaires aussi. Ainsi l'UE glisse-t-elle, avec ces valeurs communes trop communes, dans les bas-côtés de l'Histoire.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41273
Au dessus de la nation, en France, il y a l'Humanité. Au dessus de la société, en Amérique, il y a Dieu. Le président à Paris prête serment sur la Constitution votée par ceux d'en bas, et à Washington sur la Bible, qui émane du Très-Haut. Le premier, après son "Vive la République, vive la France" terminal, ira se faire encadrer dans sa bibliothèque avec les "Essais" de Montaigne dans les mains. L'autre terminera son discours sur "God Bless America" - et se fera photographier sur fond de drapeau étoilé.

Régis Debray
(Contretemps)


#41274
Qu’a-t-elle d’européen notre Europe alignée, recouverte d’un bleu manteau de supermarkets, le successeur du blanc manteau d’églises, avec, çà et là, et en supplément d’âme, des musées aux formes avantageuses, où venir remplir en bâillant ses obligations culturelles ? Il y avait plus d’Europe à l’âge des monastères, quand l’Irlandais Colomban venait semer ses abbayes aux quatre coins du continent. Plus, à la bataille de Lépante, quand Savoyards, Génois, Romains, Vénitiens et Espagnols se ruèrent au combat contre la flotte du Grand Turc, sous la houlette de Don Juan d’Autriche. Plus à l’âge pacifique des Lumières, quand Voltaire venait battre le carton à Sans-Souci avec Frédéric II, ou quand Diderot tapait sur l’épaule de Catherine II à Saint-Pétersbourg. Plus, à l’âge des Voyageurs de l’impériale, quand Clara Zetkin remuait le coeur des ouvriers français, et Jaurès, les congrès socialistes allemands. Le russe et l’allemand s’enseignaient cinq fois plus dans nos lycées en 1950 qu’aujourd’hui ; il y avait alors plus d’Italie en France et de France en Italie qu’il n’y en a à présent. Nous suivons de jour en jour les péripéties de la politique intérieure américaine, et une quinte de toux de Mme Clinton en campagne fait l’ouverture de nos journaux télévisés, mais nous n’avons pas dix secondes pour un changement de paysage en Roumanie ou en Tchéquie. Les satellites de diffusion et notre paresse intellectuelle mettent New York sur notre palier, Varsovie dans la steppe et Moscou au Kamtchatka.

Régis Debray
(Civilisation)


#41275
C’est en se dotant d’une couche isolante, dont le rôle n’est pas d’interdire, mais de réguler l’échange entre un dedans et un dehors, qu’un être vivant peut se former et croître.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41276
Chaque espèce de république a son histoire, et on ne peut pas choisir son modèle de démocratie comme on choisit une marque de fringue dans un magasin.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41277
Peut-être est-ce attendre Godot que d'espérer voir reverdir un temps où les affaires publiques ne se distribuaient pas en affaires d'argent et affaires de coeur, où le forum n'offrait pas un débouché très encombré, la transparence aidant, à la vie sexuelle, fiscale, judiciaire ou psychopathologie de bateleurs en manque d'estrade.

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41278
l'Union européenne discerne à peine le lien entre son impuissance politique et son inconsistance symbolique. Comment devenir plus qu'"un terrain immobilier occupé par un certain nombre de pays" (le secrétaire américain à la Défense) - un individu collectif ? Comment se donner une identité sans souvenir une grande querelle, par exemple avec l'Empire mondial ? Ne fédère pas qui veut mais qui peut. [...] Peut-être une Europe sans point de fuite gagne-t-elle en sagesse ce qu'elle perd en tonus.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41279
Rationalisation et sécularisation nous apparaissent non comme des processus en trompe l'œil, mais comme des changements de fond libérant, en raison même de leur poids, un redoutable retour de religiosité, avec reconstitution de transcendances normatives et réinvention accélérée de traditions vernaculaires.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41280
Le fabuleux et le farfelu témoignent d'un instinct de conservation que pourraient leur envier nos très solides artefacts techniques, à remplacer tous les cinq ans.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41281
À force de surligner les mansuétudes pour effacer les férocités de Yahvé/Allah/Dieu, la pudique bienséance finit par produire un théologie de l'autruche, répondant à une politique du même nom.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41282
Véronèse comparaît sous bonne escorte devant le tribunal de l'Inquisition, devant qui il doit s'expliquer sur la présence sacrilège à côté du Christ, dans Les Noces de Cana, de saltimbanques et de goujats.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41283
1981, candidature de Coluche à la présidence de la République. Tourner le pouvoir politique en dérision fait un heureux préambule au pouvoir financier, en quoi l’appoint d’un professionnel va dans le bon sens.

Régis Debray
(Civilisation)


#41284
La preuve du pudding, c’est qu’on le mange, et la preuve des civilisations, c’est qu’elles ne digèrent pas n’importe quoi.

Régis Debray
(Civilisation)


#41285
C’est tragique que l’Europe, la grande aventure d’une génération, l’ultime grand récit qui laisse le bec dans l’eau, soit devenu un jeu d’ombres, et que puisse être pris au sérieux ce qui l’est si peu. Accordons qu’il n’y a rien de gai à voir le Continent où fut inventée la politique, s’émasculer lui-même avec l’extension du domaine marchand à tous les aspects de la vie, la statistique en idole suprême.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41286
L'effigie d'un président ne valorise pas une personne, elle personnifie une valeur.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41287
Las, rien ne sert de courir ni de partir à temps. Comme le coup de foudre et le gros lot, l’éclair arrive quand on y pense le moins. La bonne heure ou la mauvaise porte. Maktoub ! Le hasard est un grand romancier disait Balzac, qui s’y connaissait. On ne donne pas d’ordre à un enfant qui joue aux dés.

Régis Debray
(Madame H.)


#41288
On peut vivre en république, et profiter de l'aubaine, sans se conduire en républicain. C'est même le plus courant. Et de mauvais augure. Une république de stuc et de papier, livrée aux mécanismes impersonnels de l'Etat de droit, sans citoyen pour en faire vivre l'esprit, est un château de cartes. Un souffle peut l'emporter.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41289
Tu commences par le droit à la différence et tu finis par la différence des droits.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41290
La laïcité met une frontière entre le « ce que je sais » et le « ce que je crois », entre le domaine de l'esprit et le domaine des âmes.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41291
Si la "sortie de religion" est à la portée du solitaire, elle semble infiniment plus problématique pour les collectifs.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41292
la Chine taoïste du 'qigong', l'art du souffle et des pratiques gymniques, respiration et méditation, se passe[...] de grands récits : sa mythologie est pauvre, mais son calendrier est dense, son espace, soigneusement balisé, et ses rituels, harmonieux et sophistiqués. Les cultures qui ont donné un socle mental et matériel à un bon quart de l'humanité ne se sont pas souciées de donner du sens au monde, mais de l'équilibre, et ce quart-là ne semble pas trop mal se porter. La mise en harmonie du Ciel et de la Terre, moyennant une bonne gestion des rapports incertains et fluctuants qui les unissent, ne passe pas nécessairement par une mise en fable.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41293
On ne lit pas un livre à plusieurs, ni à moitié endormi.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41294
la frontière, marque de finitude, stigmate d’imperfection

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41295
Nul besoin d’avoir un grand sens de l’État ni un sens excessif de votre dignité pour ne pas voir sans malaise, côté à côte, au « Grand Journal », le président du Conseil constitutionnel et le président de l’Assemblée nationale se tortiller sur leur chaise pour se faire applaudir par des gamins fonctionnant au sifflet. Embarrassés, patauds, piquant des fards devant une Bimbo, humiliés par les lazzi d’un trio de montreurs d’ours auxquels ne manquent plus que la chambrière et le cerceau pour mettre leurs invités à quatre pattes et les faire sauter au travers (prochaine étape). Le politique ne se cabre même plus, il rampe.

Régis Debray
(Rêverie de gauche)


#41296
Les urnes sont des boîtes à double fond, électoral et funéraire : elles recueillent, avec un léger décalage, nos rêves et nos cendres. Quand les rêves d’une génération tombent en cendres, en arrive une autre pour ranimer la flamme. Cela est bel et bon. Aussi la liesse sera-t-elle du meilleur aloi, place de la Bastille, quand un autre « on a gagné » envahira grands et petits écrans. Un joli mai, en République, cela se fête, après cinq années où la vulgarité friquée nous aura tant fait honte. Le refus de l’humiliation par tous les moyens, légaux y compris, fait partie des droits de l’homme et du citoyen. Un blouson doré de Neuilly dans le fauteuil du général de Gaulle, c’était plus qu’une faute de goût, une atteinte à ce minimum d’estime de soi dont a besoin un républicain du rang pour ne pas baisser les yeux devant son voisin de palier.

Régis Debray
(Rêverie de gauche)


#41297
A quel instant situer le changement de climat culturel : le passage du social au sociétal, de qui est juste à ce qui se dit moderne, de l'égalité à l'équité, de l'élan de solidarité au crime humanitaire, de la culture pour tous à la culture pour chacun, du fraternel au compassionnel, du "changer la vie" au "changer de cantine" ? Quand le prolo est-il devenu le beauf de Cabu, Le militant, supporter; le courant de pensée, écurie; la classe, réseau; et le bobo, boussole ? Quand l'adresse des raout a t-elle glissée de la Maison des Métallos à la Maison d'Amérique latine et le lieu de pèlerinage de Latché à Marrakech? Je constate simplement qu'au réchauffement global de l'atmosphère terrestre a correspondu au niveau de la mer un net refroidissement des passions civiques" (pg 17)

Régis Debray
(Rêverie de gauche)


#41304
Mais le plus bel exemple de floraisons d'automne, de ces bouillonnements créateurs du grand âge, c'est Vienne, entre 1870 et 1830, la tête d'un empire austro-hongrois décati, le dernier successeur de l'Empire romain d'Occident , cinq siècles d'existence. Tout allait au plus mal dans ce pays battu par la Prusse à Sadowa, écartelé par les nationalismes internes, avec une cour accablée de drames et de suicides, et un empereur tournant fantôme, quand Vienne devint la capitale de l'esprit objectif du monde occidental. Sous les marques de l'opérette et des valses, de Mayerling et de Sisi, la haute culture viennaise a jeté les bases de toutes les inventions du siècle. Et cette grande époque débute curieusement en 1871, quand le centre politique et militaire de l'Europe continentale passe de Vienne à Berlin, forçant la Couronne à abdiquer tout rôle dominant à l'international. La finis Autriae dans l'arène européenne préfigurait la finis Europae dans l'arène mondial, et cette répétition générale pourrait nous faire envie, tant cette Joyeuse Apocalypse n'a pas seulement illuminé son siècle, mais féconde le suivant. Nous sommes tous les enfants, sinon les parasites, encore maintenant, du ring, du cercle de Vienne, des cafés, galeries, clubs, revues, cabarets, agences de cette irremplaçable "décadence". Le Who's Who viennois de la Belle époque, c'est la moitié du panthéon de l'an 2000. Peinture : Klimt, Kokoschka, Schiele. Architecture : Adolf Loos, Otto Wagner. Musique : Alban Ber, Gustav Mahler, Arnold Schoenberg, Anton Webern. Sciences humaines : Sigmund Freud, Ludwig Wittgenstein, Joseph Schumpeter, Wilhelm Reich. Littérature : Robert Musil, Stephan Zsweig, Hermann Broch, Karl Kraus, Manès Sperber. Cinema : Fritz Lang, Joseph von Sternberg, Erich von Stroheim, Michael Curtiz. Hollywood ne serait pas ce qu'il est s'il n'avait accueilli ces civilisateurs, non plus que Londres, Harvard et Paris. Quel isme ne devrait-on faire précéder du préfixe austro? Sionisme, marxisme, positivisme, expressionisme, etc. Qui a dit que sortir de l'histoire oblige à broyer du noir? Bien au contraire : ces périodes faste et conclusives sont celles où la mélancolie au coeur n'empêche pas la gaieté dans l'esprit ; où l'art de vivre est si loin poussé que certains peuvent vivre de l'art, et pour lui ; où il n'est plus nécessaire d'espérer pour entreprendre ni même d'entreprendre pour dire merci ; où les convictions perdant de leur force aveugle, le réel se découvre aux esprits, sans ajout ni déguisement ; où les corsets se délacent et les bonnets volent par-dessus les interdits. Le collectif y perd, l'individu y gagne. Décadence, dira l'un, libération, dira l'autre. Et pourquoi pas les deux?

Régis Debray
(Civilisation)


#41305
On peut toujours créer un Conseil ou un Parlement par un traité mais on ne crée pas un peuple européen par décret. Mettre le parlement avant le peuple, c'était mettre la charrue devant les boeufs. L'Europe unie comme acteur politique est morte de sa belle mort, comme Valéry l'avait pressenti en son temps, avec sa fulgurante lucidité. L'Europe comme entité stratégique n'a jamais pris naissance faute de se donner une frontière, une doctrine, une armée autonome et une chaîne de commandement qui n'aboutirait pas, comme l'OTAN, au bureau Ovale. Les manoeuvres militaires en France se font en anglais, dans les normes opérationnelles du Pentagone. Reste à sauver une singularité culturelle incomparable, ce mélange contradictoire, je reprends les termes de Valéry, de quatre vertus, l'imagination, la confiance, l'esprit critique et le scepticisme, mais cela aussi expire sous nos yeux, emporté et laminé par le mainstream d'outre-Atlantique.

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41306
Une civilisation a toujours besoin de Barbares, et quand elle en manque, elle en fabrique.

Régis Debray
(Civilisation)


#41307
Il y avait, en 1919, une civilisation européenne, avec pour variante une culture américaine. Il y a, en 2017, une civilisation américaine, dont les cultures européennes semblent, avec toute leur diversité, au mieux, des variables d’ajustement, au pire, des réserves indigènes.

Régis Debray
(Civilisation)


#41308
Le chef d'État VRP en visite officielle dans un pays étranger doit rendre impérativement visite avec sa femme au jardin d'enfants ou au camp de réfugiés, pour le journal télévisé du soir. Insupportable serait la logique de l'intérêt sans notre lot quotidien de noblesses touchantes et désintéressées. Il faudra revenir un jour sur le rôle capital de la photographie dans l'agir public, où nul ne peut se faire aimer sans se faire voir, seul ou à deux dans un selfie. (p. 124)

Régis Debray
(Civilisation)


#41309
L'inculture religieuse, selon nombre d'indices, affecte autant les établissements privés à profil confessionnel que l'École publique. Plusieurs indices montrent que l'ignorance en ce domaine est corrélée, à grande échelle, au niveau des études et non à l'origine religieuse des élèves, ou à leur appartenance familiale. Les "boîtes cathos" elles-mêmes n'étant plus, ni de loin, les "forteresses de la foi" de jadis, l'appel traditionaliste au "chacun chez soi" paraît manquer de réalisme. À la sélection sociale près, qui n'est pas un mince avantage, le privé et le public ont affaire, finalement, à la même amnésie, aux mêmes carences.

Régis Debray
(L'Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41310
le vent d'Amérique vient déplacer les lignes. On va vers une société plus égoïste, indifférente à autrui, où chacun veut d'abord s'enrichir et réussir individuellement.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41311
De même que la scène profane assigne sa place au sacré, de même ne peut-on crucifier tel ou tel pays sur sa religion d'origine. Il n'y aurait pas d'identité grecque sans l'orthodoxie, ni indienne sans l'hindouisme, mais la Grèce n'est pas que ses popes ni l'Inde, que ses castes. Pas plus que Confucius ne résume la Chine. Ce sont les fondamentalistes d'Occident et d'Orient qui identifient une société à sa divine différence, qu'ils ont tôt fait de convertir en une 'abstraction totalisante'. Ainsi M. Huntington et M. Ben Laden s'entendent-ils fort bien pour sculpter dans le marbre un 'Homo occidentalis' ici, et là un 'Homo islamicus', entités closes et immuables, monades sans portes ni fenêtres. Les mythologies tête-bêche de l'identité-substance, qui animent les croisés de l'Essence, s'alimentent mutuellement. En dénoncer l'absence de fondement objectif ne les rend pas moins épidémiques. Non pas quoique mais parce qu'ils font fi des entrelacs du réel, les englobants enchanteurs du "choc des civilisations", dont l'irréalisme fait justement le succès, mobilisent d'autant mieux qu'ils sont idiots, donc rassurants.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41312
Et que vaut-il mieux, se disputer, voire s’entraider dans Babel, ou rôder dans un no man’s land apaisé ? C’est ici qu’on se prend à rêver d’un œcuménisme qui ne serait pas un concordisme, visant non à délayer mais à préciser les profils spirituels. A mieux identifier les différences plutôt qu’à les effacer. D’un dialogue interreligieux qui, au lieu de produire de l’eau de rose avec des liqueurs fortes, via la théologie la plus faible, mettrait en valeur, ce que les autres théologies ont de fort et d’irréductible. Ce genre de rencontre aurait moins besoin de facilitateurs souriants que de traducteurs exigeants, à l’image des juifs de Tolède, et des Arabes d’Andalousie. L’Esprit-Saint est-il condamné à prendre l’autoroute ?

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41313
Doit-on rendre grâce aux religions positives d'avoir peu à peu canalisé, rythmé et sublimé les stimuli de la testostérone, contribuant de la sorte à une lente et difficile domestication de la bête masculine, ou bien faut-il leur tenir rigueur d'avoir ajouté la morale à l'hormone, en rendant l'agresseur compulsif encore plus dangereux que nature ?

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41314
D'où la question : à quelle demande répond la dépense religieuse ? Et quel service peut-elle bien assurer qui compense ses coûts incontestablement élevés (guerres, intolérances, misogynies, obscurantisme, etc.) ?

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41315
... D'où ressort un État prestataire de services, qui a des usagers et non des citoyens, à la fois hypertrophié et évidé, omniprésent dans ses emprises, évanescent dans ses valeurs, et qui, par cela même qu'il a baissé les bras, légifère à tour de bras. Ce guichetier, tout le monde le sollicite, personne ne le respecte. Il me doit tout des réparations pour le froid, le chaud, le sec et le mouillé, etc,); je ne lui dois rien (hormis TVA, contravention et impôts). Notre monolâtrie 'des droits de l'homme' - où règne le toujours-plus - les a amputés de leur réciproque, 'les devoirs du citoyen' – où règne le toujours moins. ....

Régis Debray
(Ce que nous voile le voile)


#41316
l'artiste n'a pas les clés, c'est moi en définitive, spectateur en bout de chaîne, qui ouvre ou ferme les portes. Ce qui l'a incité à faire cette toile peut m'être communiqué par elle à l'envers. Peignant sa chambre à Arles, Van Gogh voulait dire sa sérénité. Je la saisis comme pure angoisse. Et je me tais.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41317
Comme les sépultures furent les musées des civilisations sans musées, nos musées sont peut-être les tombeaux propres aux civilisations qui ne savent plus édifier de tomber.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41318
Il faut guérir les Israéliens de la peur (…) et soulagé les Palestiniens qui ont peur de cette peur.

Régis Debray
(Un candide en Terre sainte)


#41319
Décentraliser la puissance publique, c'est bon pour la démocratie locale ; et aussi pour la corruption générale et les mafias transnationales. (page 474)

Régis Debray
(Loués soient nos seigneurs)


#41320
"L'accès à soi passe toujours par un autre, et se heurter à des gens qui ne nous ressemblent pas est le meilleur moyen de découvrir ce à quoi nous ressemblons (aussi l'exil a-t-il toujours été la meilleure fabrique de patriotes). (...) L'Indien m'a fait Gaulois." p.47

Régis Debray
(D'un siècle l'autre)


#41321
La difficulté fait les caractères (...)

Régis Debray
(Quitte ou double)


#41322
(...) trois crises en une, sanitaire, économique et existentielle ?

Régis Debray
(Quitte ou double)


#41323
On ne passe pas d'un jour à l'autre d'une culture de paix à une culture de guerre - toutes proportions gardées bien sûr (...).

Régis Debray
(Quitte ou double)


#41324
Convenons néanmoins que c'est une drôle de guerre, celle où le commandant en chef a pour mot d'ordre : "planquez-vous" ; où une mobilisation générale met à l'arrêt ; où on appelle à ne plus faire société pour faire nation, à s'isoler pour se serrer les coudes et à écarter les corps les uns des autres pour se rapprocher d'eux en esprit. Mais l'histoire n'est jamais avare de paradoxe.

Régis Debray
(Quitte ou double)


#41325
En un clin d’œil, un siècle, celui qui sépare la chaîne de bicyclette du moteur diesel, les distances nous sont devenues indifférentes, mais le moindre délai nous devient insupportable. On se mondialise aussi vite que l’on se déshistorise ; comme si, à mesure que s’étendaient nos réseaux et autoroutes […], se contractaient les chronologies.

Régis Debray
(Civilisation)


#41326
Sans faire le lien, il discernait chez les jeunes générations de chercheurs un tour d’esprit assez déconcertant. Ils se voulaient tous spécialistes de quelque chose, l’un du premier Barbey d’Aurevilly, l’autre, du dernier Ernest Renan, et être recrutés en tant que tels par les European Studies de Chicago, Tokyo ou Melbourne. Ils semblaient répugner aux vues d’ensemble, qui caractérisaient à leurs yeux l’amateur, voire le fumiste, disons l’essayiste. Un vrai professionnel était à son créneau et s’y tenait. Il était affecté à un labo et entretenait avec son sujet de thèse un rapport distancié, compétent et sans passion. Lui revint en mémoire un mot de Gide : « X est intelligent mais il a l’air d’avoir rencontré des idées plutôt qu’il ne les a extraites de lui ».

Régis Debray
(Civilisation)


#41327
De Gaulle, évoquant Jeanne d’Arc, parlait de l’ « honneur d’être pauvre » ; Nicolas Sarkozy : « Après, je ferai de la thune ».

Régis Debray
(Civilisation)


#41328
Une civilisation a gagné quand tout ce qu’elle façonne est devenu naturel et qu’il est malséant de chercher à reconstituer quelles actions ont permis à telle civilité de s’imposer et quel système de forces gît sous la norme à respecter.

Régis Debray
(Civilisation)


#41329
De même qu’une langue mère irradie en dialectes régionaux, une civilisation décloisonne la culture dont elle provient […]. Elle se contracte lorsque ses forces viennent à décliner. Cette rétraction ou crispation, qui signale une retraite, s’appelle une culture.

Régis Debray
(Civilisation)


#41330
Au siècle des Lumières, Mirabeau et Voltaire avaient inventé la civilisation avec article défini, soit la sortie de Barbarie. L’Allemagne, peu après, opposera la culture, singularité vitale enracinée dans un peuple et un sol, à la civilisation, inerte et sans racines, aux procédures passe-partout.

Régis Debray
(Civilisation)


#41331
« Dans le pays où 1789, c’était la faute à Voltaire et à Rousseau, et 1940 à André Gide et Marcel Proust, personne ne songe plus à mettre « le suicide français » sur le dos de la NRF ou des Éditions de Minuit. On enquiquine son monde en lui parlant bouquins, sauf à enchaîner de suite sur le testament de Johnny ou la dernière série Netflix. Le trésor national vivant, le monstre sacré, le délégué du génie national à l’étranger, c’est celui dont le pied laisse une trace sur le Walk of Fame d’Hollywood Boulevard. C’est Montand ou Aznavour (180 millions de disques) ou, intra-muros, Johnny. Donner sa couleur à l’époque, accompagner nos joies et peines, faire vibrer plusieurs générations de suite, ce n’est plus dans les moyens du noircisseur de pages. L’imprimé a cessé d’imprimer. Plus compétitif. Seuls les bons restaurateurs parisiens et les clercs de notaires donnent encore du « Maître au folliculaire ». c’est le show-biz et le stade qui mènent la danse et concentrent les honneurs, les réseaux et les hommages présidentiels. De l’image à l’image, c’est en circuit fermé qu’on est sûr de se faire voir et entendre des populations. » Du génie français, Régis Debray, Gallimard (septembre 2019), pp.17-18

Régis Debray
(Du génie français)


#41332
Il n'est pas facile d'avoir une histoire à soi quand on flotte sur son temps comme un bouchon sur l'eau, au gré des rencontres.

Régis Debray
(La neige brûle)


#41333
Elle (une civilisation) peut se dire victorieuse quand ce n'est plus une mais la civilisation, que sa langue est devenue lingua franca, et sa monnaie, l'aune commune.

Régis Debray
(Civilisation)


#41334
Comme l'homo sapiens est un mammifère Plus, la République est la Démocratie Plus. Plus précieuse et plus précaire. Plus ingrate, plus gratifiante. La République, c'est la Liberté plus la Raison. L’État de droit, plus la justice. La tolérance, plus la volonté. La Démocratie, dirons-nous, c'est ce qui reste d'une République quand on éteint les Lumières.

Régis Debray
(Contretemps)


#41335
Inutile de préciser que le romantisme révolutionnaire, où la nostalgie est motrice, et l’échec final une sombre confirmation, n’a pas sa place dans la patrie des wonder boys et des success stories. La nouvelle civilisation méprise les loosers, les pauvres et les vaincus. La grandeur des causes perdues lui est étrangère.

Régis Debray
(Civilisation)


#41336
Nous n’avons pas à prêter serment aux enseignes des légions, encore moins à baiser la pantoufle. Nous ne sommes pas des supplétifs ni des larbins, mais des utilisateurs. Nos appareils sont des maîtres à penser. En quoi le gouvernement par les normes, autrement plus indolore et moins coûteux que par les blocus et les amendes, est un modèle d’économie des forces. C’est une mise à l’équerre (le sens de norma en latin) plutôt qu’une mise au pas. On dresse et on redresse, par le seul mode d’emploi. La normalisation préemptive des systèmes techniques — éducation, santé, transports, médias — produit une dynamique qui ne se présente pas comme polémique. Elle instaure la référence par capillarité. Elle met de l’ordre, son ordre, dans du disparate, et le rouleau compresseur normatif fait apparaître tout « ce qui résiste à son application comme quelque chose de tordu, de tortueux ou de gauche » (Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique). L’écart devient faute, et il arrive qu’une négligence ou un hors-piste soit passible de graves sanctions. Cela vaut pour les normes comptables comme pour le droit fiscal.

Régis Debray
(Civilisation)


#41337
L'image d'abord L’Amérique est entrée dans l'histoire et dans nos cœurs par l'image; elle a la fibre optique. L'Europe dans l'histoire et nos cerveaux par des écrits ; elle a la fibre optique. Les héros du Nouveau Monde ne sentent ni l'encre ni la térébenthine. Ils sont sur pellicule. Buffalo Bill ne s'est pas distingué par son autobiographie, mais pas ses exhibitions. On ne connait pas d'essais politiques signés Franklin Roosevelt. Le président Kennedy n'a pas laissé de journal ni de correspondance; et ne parlons pas de ses successeurs. Enlevez à de Gaulle ses mémoires de guerre et à Napoléon le Mémoriel de Saint-Hélène, le mythe sera incomplet, et la transfiguration boiteuse. Enlevez Jean Gabin et Michèle Morgan à la France du Front Populaire, à l'Amérique de la nouvelle Frontière, vous lui coupez les jambes. Un album, à tout prendre, pourrait résumer le siècle américain en cent photos (dont un bon tiers de stars); une anthologie, l'Europe du XXe siècle en cent textes (dont un bon tiers de poèmes, manifestes ou nouvelles). On trouvera dans le premier des photos légendaires, et dans la seconde des textes illustrés. L'auteur de l'album aura visionné en vidéothèque, l'auteur de l'anthologie compulsé en bibliothèque. On durcit le trait, pour sûr, mais la mise à l'écart de l'Europe aurait été impossible sans celle de la culture écrite par la culture visuelle.Le cinéma a crée les États-Unis, pour lesquels c'est beaucoup plus qu'un moyen d'influence. C'est l’origine de leur puissance. Trump, comme naguère Reagan, est le shérif du film. John Wayne aux manettes.

Régis Debray
(Civilisation)


#41338
Quand on ne sait plus qui l'on est, on est mal avec tout le monde - et d'abord avec soi-même.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41339
La République française est composée de citoyens, non de communautés. Les individus ont leurs particularités ; pas les citoyens.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41340
Seule la puissance publique peut surmonter les mille et un intérêts privés qui tirent à hue et à dia.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41341
Le peuple est le seul contrôleur irremplaçable et permanent.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41342
La Terre ne fait pas un pays. Il n'y a pas de morale sans interdit, de loi sans sanction, ni de paix sans frontières.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41343
La laxisme nuit à la liberté aussi sûrement que l'autoritarisme.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41344
Ce qui est légal n'est pas toujours légitime. Au-dessus de la loi, il y a la Constitution. Au-dessus du règlement, il y a l'humanité.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41345
Que la laïcité ne soit pas une Pentecôte de la Raison, automotrice et autosuffisante, l'histoire de notre pays ne l'a que trop montré. C'est "l'amour sacré de la patrie", plus que des mathématiques, qui a permis d'enlever les crucifix des tribunaux et des écoles. Sans la piété républicaine, la non-profession qu'est en son fond la laïcité - que l'on confond trop souvent, à cause de son bain de naissance, avec un combat antireligieux qu'elle n'est aucunement - aurait-elle eu gain de cause dans nos tréfonds paysans ? Les promoteurs de ce nouveau cadre institutionnel (comme Ferdinand Buisson) avaient conscience qu'un État éducateur suppose une religion civile, qui parle au cœur non moins qu'à l'intelligence. La leur s'appelait "Devoirs et Patrie". "La Patrie joue dans l'école laïque, remarquait un témoin, le rôle réservé à Dieu dans l'école congréganiste."

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41350
Cet attachement épidermique à un presque rien décisif, qu'on moralise souvent en dignité (d'un peuple) ou en fierté (nationale), n'aurait pas lieu d'être sur une île déserte. Le parfait Robinson aurait certes une identité, mais ce serait celle de l'huître. Nous distinguons une belon d'une portugaise et celle-ci d'une claire, par échantillonnage. L'humain également se range, se fiche et se classe par type et par genre, mais il ne se satisfait pas d'être inclus dans l'espèce 'sapiens'. Il veut plus, et ce 'plus' est un 'moins'. Il exige des propriétés exclusives, dont il et on puisse penser qu'elles ne sont dues qu'à son mérite, à son histoire, à son génie, bref, des qualités, réelles ou supposées, dont il se targue parce qu'elles ne sont pas celles de son voisin. L'identité dont nous parlons ici - concept mou, chose dure - n'est en tout cas pas l'égalité à soi, qui convient aux huîtres, aux chiens et aux aigles, en vertu du principe d'identité qui caractérise les choses sans âmes (A = A). Elle est une négation de l'autre, conformément au principe d'opposition qui sous-tend nos positions. Aussi bien, "l'exclusive fatalité, l'unique tare qui puisse affliger un groupe humain et l'empêcher de réaliser pleinement sa nature, c'est d'être seul". Et donc sans adversaire, ce qui est l'adversité suprême, pour un groupe et un individu. C'est l'altérité qui introduit à l'identité, notion éminemment interactive.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41352
La haine sert d'antidote à la peur, qui rend impuissant. Elle redonne courage, invente de l'impossible, creuse des tunnels sous les barbelés. Si les faibles ne haïssaient pas, la force resterait éternellement à la force. Et les empires seraient éternels.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41353
Marx, ce géant de la pensée, n'a pas saisi (il ne pouvait sans doute pas, faute d'expérience probante) qu'entre communisme et matérialisme il fallait choisir. Il s'est cru scientifique, et à l'être trop s'est égaré. Ses confrères en volontarisme, qu'il stigmatisa sous le nom d'utopistes, nous semblent plus près du pot aux roses quand ils disaient, comme Cabet, le tonnelier de Dijon : "Les communistes d'aujourd'hui sont les disciples et continuateurs du Christ."

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41354
Que le 'Sapiens sapiens' soit d'Occident ou d'Orient, du silicium ou du bronze, s'il y a en lui quelque chose d'indomptable, c'est bien son incapacité à se contenter non pas de ce qu'il a, mais de ce qu'il est (ce qui semble moins compréhensible et probablement sans espoir).

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41355
...Tout homme, toute femme a le droit d’appartenir à une communauté. et les Républicains encore plus que les autres, puisqu'ils ont le devoir d'en forger une . Il leur faut subordonner celle naturelle, celle de la lignée, à une communauté culturelle, consciente et construite, de la même façon qu'ils subordonnent le droit du sang au droit du sol, sans nier le premier. C'est quand la République n'est plus une communauté d'images, de notes, de rêves et volontés, que les communautarismes refoulés remontent à la surface et se vengent....

Régis Debray
(Ce que nous voile le voile)


#41356
L'humanisme tolère fort bien "l'éloge de la main", organe de l'Esprit souverain, mais recule devant l'éloge de la machine (dont l'examen le plus critique est encore une variante). L'automatisme le met positivement hors de lui.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41366
"Le vu par tous l'emportera à la longue sur le lu par quelques-uns." p.76

Régis Debray
(D'un siècle l'autre)


#41372
(p. 347-348, chap. 11, Les paradoxes de la vidéosphère) L'image physique (indicielle ou analogique : photo, télé, cinéma) ignore l'énoncé négatif. Un non-arbre, une non-venue, une absence peuvent se dire, non se montrer. Un interdit, une possibilité, un programme ou projet – tout ce qui nie ou dépasse le réel effectif – ne passent pas à l'image. Une figuration est par définition pleine et positive. Si les images du monde transforment le monde en image, ce monde sera autosuffisant et complet, une suite d'affirmations. « A brave new world. » Seul le symbolique a des marqueurs d'opposition et de négation. L'image ne peut montrer que des individus particuliers dans des contextes particuliers, non des catégories ou des types. Elle ignore l'universel. Elle doit donc être appelée non pas réaliste mais nominaliste : n'est réel que l'individu, le reste n'existe pas. […] L'image ignore les opérateurs syntaxiques de la disjonction (ou bien... ou bien) et de l'hypothèse (si... alors). Les subordinations, les rapports de cause à effet comme de contradiction. Les enjeux d'une négociation sociale ou diplomatique – sa raison d'être concrète en somme – sont, pour l'image, des abstractions. Non le visage des négociateurs, ses figurants. L'intrigue compte moins que l'acteur. L'image ne peut procéder que par juxtaposition et addition, sur un seul plan de réalité, sans possibilité de métaniveau logique. La pensée par image n'est pas illogique mais alogique. […] L'image enfin ignore les marqueurs de temps. On ne peut qu'en être contemporain. Ni en avance, ni en retard. La durée ? Une succession linéaire de moments présents équivalents les uns aux autres. Le duratif (« longtemps, je me suis couché de bonne heure »), l'optatif (« levez-vous vite, orages désirés... »), le fréquentatif (« il m'arrivait souvent de... »), le futur antérieur ou le passé composé n'ont pas d'équivalent visuel direct (du moins sans l'aide d'une voix off). Ces quatre déficits sont des faits objectifs, non des jugements de valeur. Et tout l'art du cinéma consiste à les « tourner ».

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41373
(L'art, artisanat ancré dans la terre, p. 214-215, chap. 7, La géographie de l'art) L'artiste est un bouseux, il a les pieds dans le pagus et la main à la pâte. Tout ce qu'il y a de métier dans la représentation colle à la terre, avec ses tombes, ses bornes, ses territoires. Aux campagnes. École française, italienne, flammande, etc., c'est « pays » français, italien flamand, etc. Comme la spiritualité, tout art est local : il exprime, le plus souvent à son insu, le génie d'un lieu cristallisé en une certaine lumière, en couleurs, en tonalités, en valeurs tactiles. Le travail pictural lui-même, qui devrait s'écrire pictrural, est partie « des travaux et des jours ». Van Gogh : « Le symbole de saint Luc, le patron des peintres, est un bœuf. Il faut donc être patient comme un bœuf si l'on veut labourer dans le champ artistique. » […] L'homme pressé des mégapoles répugne aux patiences fermières du labour. Vitesse, paresse, la rime est bonne. Ne nous étonnons pas demain si « un monde sans paysans » devient « un monde sans art ». Les arrières-pays et les avant-gardes étaient peut-être plus solidaires que nous le pensions. Ubiquité de l'information, dématérialisation des supports, glisse des véhicules, convocation sur écran de toutes choses. Une agriculture hors sol, comme une langue sans mots, une monnaie sans papier et un golf sans green trouvent dans l'image de synthèse son complément optique. Le visuel numérisé est trop international pour avoir l'âme champêtre : il est à la fois planétaire et « acosmique ».

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41374
(Du rôle de la norme, p. 167, chap. 5, La spirale sans fin du temps) On connaît déjà les paradoxes et les impasses propres à ce que Octavio Paz appelait « la tradition du nouveau ». Que devient en effet l'écart à la norme en l'absence de norme Comment distinguer l'avant-garde du kitsch, lorsque le gros de la troupe fait de l'avant-gardisme ? Sans classicisme en repoussoir (enseignement, corpus, canon et concours), la contestation se disloque en bric-à-brac. Par ailleurs, la multiplication de l'inaccoutumé précipite un renouvellement des formes et des procédés ; d'où la précarité des innovations, l'usure par saturations des regards, et le retour final à l'indifférencié de départ. Trop de nouvelles banalisent le nouveau, et à force de s'événementialiser, le spectacle devient le public. Un cocktail de vernissage, sans début ni fin, passant d'une galerie à l'autre, recouvrant d'une confuse et identique rumeur d'étonnantes bizarreries qui se succèdent sur les murs à toute vitesse, sans plus étonner personne : ainsi s'accélère, de décennie en décennie, la progressive désuétude de l'insolite pictural.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41375
(L'image corps spirituel chez les chrétiens, p. 84, chap. 3, Le génie du christianisme) Le divin, objecte l'iconoclaste, est indescriptible, c'est pourquoi toute image de lui ne peut être que « pseudo » et non « homo », mensongère et non ressemblante. Spirituel et invisible seraient alors synonymes. C'est ce couple immémorial que brise le christianisme, révolution dans la Révélation. Voilà que la matière relaie les énergies divines au lieu de les barrer. Loin d'avoir à s'en arracher, la délivrance passe par le corps, son ancien tombeau, et par ces corps du corps que sont les images sanctifiantes et vivifiantes du Sauveur. L'extérieur, c'est aussi l'intérieur. […] Il n'y a plus d'incompatibilité entre la jouissance du sensible et l'ascèse du salut. Toute gloire n'est pas gloriole, on peut accéder à l'invisible par nos yeux de chair, le salut se joue à même l'histoire. Le don qu'a le catholique pour le militantisme ne fait qu'un avec son don pour les images, sa fabrication et leur compréhension.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41376
Les annales suggèrent que le rôle-titre sur la scène du monde dure cinq siècles, au plus, avant qu’un second rôle ne monte en tête d’affiche. Du Quattrocento au siècle américain, l’Europe occidentale a rempli son contrat, et peut quitter la pole position la tête haute.

Régis Debray
(Civilisation)


#41377
Il n’y a pas de civilisation qui ne s’enracine dans une culture, mais celle-ci ne devient pas civilisation sans une flotte et une ambition, un grand rêve et une force mobile. Périclès, en ce sens, ce fut le moment culture, et Alexandre, le moment civilisation du monde grec.

Régis Debray
(Civilisation)


#41378
On serait bien aise de pouvoir leur inoculer une petite dose de ce nihilisme souriant, sans dette ni devoir, qui fait le fond de l'air chez nous, mais il est à craindre que notre bonheur prudentiel, axé sur le fitness et le week-end prolongé, leur apparaisse petit bras à côté des douceurs éternelles dont jouissent là-haut « ceux qui meurent au combat sur le chemin de Dieu ».

Régis Debray
(L'angle mort)


#41379
Mais pouvait-il en être autrement, dans nos contrées, dès lors qu’une civilisation dynamique et englobante venait à folkloriser nos cultures locales, transformées en écomusées, séjours touristiques et Venises encombrées ? Ce n’est pas par servilité mais par inculturation que l’extraterritorialité du droit américain est vécue comme naturelle. On ne comprendrait pas sinon qu’on accepte aussi facilement d’être taxé (acier et aluminium), racketté (les banques), écouté (la NSA), pris en otage (l’automobile allemande), commandé ou décommandé in extremis (militairement), soumis au chantage (nos entreprises en Iran), etc. L’hyperpuissance a obtenu sa naturalisation, et nous vivons comme nôtres ses conflits domestiques (tous de cœur derrière Mme Clinton, la bonne Amérique, contre la méchante, celle de Trump, en nous affiliant au Parti démocrate). « Le pouvoir, c’est de régner sur les imaginations », disait Necker, et l’américanisation de notre espace public (les « primaires ») a suivi celle de nos rêveries intimes.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41380
L’Européen a des velléités mais, à la fin, il fait où Washington lui dit de faire, et s’interdit de faire là où et quand il n’a pas la permission. « Les Européens se sont accommodés de la vassalisation », s’étonnait hier Jean-Pierre Chevènement. C’est un mot déplaisant, comme celui de suzerain. On doit dire relation transatlantique, communauté de valeurs et partage du fardeau, ou burden sharing (la novlangue des diplomates a de remarquables fonctions anesthésiantes, voire euphorisantes). Vassalité est déplacé, d’autant plus qu’elle est vécue à l’ouest comme un remorquage (vers la postmodernité) et à l’est comme un rempart sécurisant (face à la Russie).

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41381
La gauche « socialiste », en France, avec le point de mire se substituant au socialisme que fut, dans les années 1980, « l’Europe sociale », a fini par faire sienne la loi du marché (privatisation des services publics, démantèlement de l’État-providence, dérégulation de l’économie) et à communier dans le dogme, peu socialiste, d’une concurrence libre et non faussée.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41382
S’affirmer à présent bon européen, comme jadis bon chrétien, c’est se ranger parmi les gens fréquentables et l’eurosceptique qui se prive de ce témoignage de moralité, sait se faire discret par crainte de se voir assimilé au nationaliste qui sacrifie l’amitié entre les peuples à de frileux et sordides réflexes.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41383
Je ne te demande qu'une chose: d'échapper à la plaie de notre époque, qui est de vouloir se faire aimer, complaire à tous, et racoler des fans. Tu n'es pas obligé de tenir en suspicion, comme je le fais, tout individu sympathique -car escrocs et faiseurs le sont -, mais souviens-toi qu'une civilisation où une œuvre de l'esprit n'est pas jugée pour ce qu'elle est mais d'après son tonnage et son volume de ventes entre en barbarie.

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41384
L'armée rouge a gagné la seconde guerre mondiale contre le nazisme, les Etats-Unis ont gagné la paix qui a suivi. L'Union Soviétique, après 1945, a constellé l'Europe orientale et l'Asie centrale de garnisons et de missiles, mais il n'en est pas sorti une civilisation communiste susceptible de transcender et fédérer les quant-à-soi locaux. manquaient le bas nylon, le chewing-gum et le hot dog. Plus Grace Kelly et Jackson Pollock. p.29

Régis Debray
(Civilisation)


#41385
Ce n'est pas parce que les religions sèment à tout vent, loin du bercail, qu'elles se fondent gentiment dans le panorama. Elles surlignent à l'envi, comme un pied de nez, leur signalétique de défi (système pileux, niqâb, tsitsit, chignon, croix, tilaka, etc.).

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41386
Il est pénible de reconnaître le monde tel qu'il est, et plaisant de le rêver tel qu'on le souhaite.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41387
Les livres, il y a ceux qui sont faits pour être là et ceux qui sont faits pour être lus . in " Bilan de faillite " Editions Gallimard 2018

Régis Debray
(Source inconnue)


#41388
... sur un fleuve intranquille, il y a encore plus embêtant qu'une écluse, et c'est l'absence d'écluse.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41389
Voilà qui devrait t'inciter, fiston, à une certaine indulgence et à t'interdire, dans les affaires du jour, la montée aux injures et, sans accorder cinq minutes d'antenne au néo-nazi et cinq antres à l'antiraciste, à ne pas tenir pour canailles les enfants d'autres circonstances (et qui verront un crime de guerre patent là où tu vois un dommage collatéral, et réciproquement).

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41390
A ton contradicteur de l'autre bord, demande d'abord où il traînait ses guêtres quand il avait vingt ans, cela t'expliquera tout.

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41391
Tu m'en voudras peut-être de faire le rabat-joie, mais force m'est de te signaler, pour t'éviter d'éventuelles gueules de bois, que le post-humain galaxique a toutes les chances de rester, une fois revenu dans l'atmosphère, le mammifère aux regrettables habitudes dont les meilleurs esprits s'indignent, à juste titre. Tous les documents disponibles, depuis l'âge du bronze, indiquent un bipède assez stable dans ses fondamentaux : xénophobe, peureux, agressif, veule, cupide dès qu'il le peut et prêt aux pires étripages dès qu'on l'a persuadé que son vis-à-vis était le diable en personne.

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41392
Si la laïcité est un principe, il n'est pas fondateur, mais fondé en amont. Il ne se décrète pas, il se déduit.

Régis Debray
(Ce que nous voile le voile)


#41393
L’UE est une machine antipolitique, dont certains rêvent qu’elle devienne un acteur politique et attendent même qu’elle se constitue, un jour, en puissance, quand sa raison d’être est de fuir toute idée de puissance.

Régis Debray
(Civilisation)


#41394
Octobre 1967. Vingt-deux éclopés. Sept Cubains, dont deux blessés graves. Sept Boliviens, dont trois malades. L'un pleure de soif. Deux Péruviens, dont un handicapé. Des spectres en guenilles, à faire peur. Les chiens aboient à leurs trousses, de tous côtés. On fuit ces pestiférés. La colonne de somnambules titube à travers les hameaux presque vides. Une nuit, elle a même campé entre deux villages distants de cinq kilomètres, au milieu de la route, sans précaution aucune. Le Che va au devant des paysans. Il leur court après, leur parle, s'identifie, en sachant que, sitôt le dos tourné, ils iront le dénoncer. Ainsi l'armée bolivienne suit-elle leur déplacement quasi en temps réel. Il multiplie les imprudences. Il n'a pas voulu se défaire de ses mules, qui retardent sa marche. Ce n'est pas que sa volonté ait faibli : il l'applique à faire tout ce qu'il faut pour en finir proprement et vite. Il laisse filer, marche droit devant lui, en niant l'évidence.

Régis Debray
(Loués soient nos seigneurs)


#41395
1919, traité de Versailles. Pour la première fois depuis deux siècles , le texte français d'un accord internationale fait plus loi. Le président Wilson exige une version en anglais. Le français cesse d'être la langue de la diplomatie. 1920, fondation à New York, par Duchamp et Man ray, de la société anonyme, un lieu pour exposer de l'art "moderne". "L'homme le plus intelligent et pour beaucoup le plus gênant de cette première partie du XXe siècle (André Breton sur Duchamp) s'est installé aux États-unis dès 1915. L'urinoir signé R.Mutt, le célèbre ready-made, est exposé à New York en 1917. (derrière un écran). 1925, la Métro Goldwyn Mayer rachète les parts du Crédit commercial de France de la société anonyme de la société Gaumont. Confirmation du transfert de l'usine à rêves de Paris à Hollywood. 1926, Charles Pathé abandonne à Kodak (USA) le monopole de la fabrication du film vierge, qu'il avait arraché à Georges Eastman avant la guerre. 1927, Warner Bros produit le premier film parlant. Le Chanteur de jazz. "Si cela marche, a dit le producteur, le monde entier parlera anglais. (L'image sonore n'arrivera en France qu'en 1930.) 1943, création de l'Amgot (Allied Military Government of Occupied Territories). Confondant libération et occupation, le président Roosevelt signe un projet d'administration de la France libérée donnant au commandement suprême allié toute autorité sur l'ensemble du territoire et prévoyant une monnaie imprimée aux États-Unis et distribuée par l'administration américaine à la population. Plan déjoué au printemps 1944 par de Gaulle ,avec l'appui sur place du général Eisenhower. 1946, signature de l'accord Blum-Byrnes. Vichy avait interdit les films américains. Une fraction de la dette française effacée, en contrepartie de quoi les États-Unis, sous l'égide d'une maxime perspicace, trade follows the film, exigent l'abandon du quota pour les productions américaines et une sévère réduction des exclusivités pour les films français (de sept à quatre semaines). Se créera en réaction un comité de défense du cinéma français (Jean Marais et Simone Signoret), et le centre national du cinéma viendra au secours des films français, leur production ayant chuté de moitié. En Allemagne, après guerre, la diffusion des films américains n'est pas réglementée. 1946, parallèlement au plan Marshall, les États-Unis lancent le programme Fullbright "pour la reconstruction intellectuelle de l'Europe". 1948, promulgation de la Déclaration universelle des droits de l'homme, "l'homme moral de notre temps". Votée par l'assemblée générale des Nations unies à Paris, au palais de Chaillot, mais rédigée à Lake Success en 1947, sous l'égide de la grande Eleanore Roosevelt, veuve du président, elle représente à double titre, par son caractère d'universalité, une considérable avancée sur la déclaration de 1789. C'est l'individu en tant que tel, qu'il soit apatride, réfugié , migrant ou demandeur d'asile, qui devient sujet des droits imprescriptible et les principes énoncés, quoique dépourvus de caractère obligatoire, s'imposent à tous les pays.

Régis Debray
(Civilisation)


#41396
A l'inversion néobourgeoise des ex-hiérarchies bourgeoises , inversion et demie.Si le mot a encore un sens, dans un monde où les PDG se rendent en jeans, col ouvert et blouson de cuir à l'opéra, la rébellion c'est la cravate. Comme c'est dans l'audiovisuel où règnent le montage cardiaque et l'entretien stroboscopique ; le plan-séquence et l'interview en longueur. Quand le tutoiement se généralise, avec la radio l'usage du prénom comme à la maternelle (Luc nous appelle-Bonjour Gérard), il est clair que la dissidence réside dans le vouvoiement, et la mention du nom de famille dans nos échanges publics. Et quant au culte bêtifiant du nouveau, qui a pour endroit le lèche-cul de la jeunesse et pour envers le rejet du septuagénaire, quoi de plus provocateur et "dandy" que de montrer ses rides, ses bleus et son latin ? Retournons nos cartes les amis. Sic transit gloria mundi. Un candide à sa fenêtre. Page 181.

Régis Debray
(Source inconnue)


#41397
Nous ne leur en voulons pas de nos déconfitures, à ces doux intransigeants.

Régis Debray
(Par amour de l'art)


#41398
Un problème est philosophique tant qu'il n'a pas de solution scientifique, lance la voix acérée de l'ethnologue; méfiez-vous de la haute voltige dialectique qui permet de démontrer tout et son contraire.

Régis Debray
(Par amour de l'art)


#41399
Le prétendu combat du clos contre l’ouvert, tandem en réalité aussi inséparable que le chaud et le froid, l’ombre et la lumière, le masculin et le féminin, la terre et le ciel, continue d’amuser notre galerie. Ce lieu commun fait le bonheur des esprits courts, qui préfèrent citer Bergson (« morale ouverte contre morale close ») plutôt que Marcel Duchamp (« porte ouverte fermée »).

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41400
Entre Euroland et Clochemerle, la porte est étroite.

Régis Debray
(Le code et le glaive)


#41401
Certes. Dire le contexte historique sans la spiritualité qui l'anime, c'est courir le risque de dévitaliser. Dire, à l'inverse, la sagesse sans le contexte social qui l'a produite, c'est courir le risque de mystifier. La première abstraction fait l'entomologiste, sinon le musée Grévin. La seconde fait le gourou, sinon le Temple solaire. Il est parié ici sur une troisième voie, mais qui n'a rien de nouveau dans notre meilleure tradition scolaire, depuis un bon siècle : informer des faits pour en élaborer les significations.

Régis Debray
(L'Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41402
L'I.F (l'intellectuel Français) fut un éclaireur, c'est devenu un exorciste. Il accroissait l'intelligibilité, il renchérit sur l'opacité des temps. Il favorisa la prise de distance, il s'applique à resserrer les rangs. Ce fut un futuriste, c'est, tout accrocheur qu'il soit, et volumineux, un déphasé, qui n'aide plus personne à devenir contemporain. Et c'est de lui qu'il faudrait maintenant s'émanciper.

Régis Debray
(I.F. suite et fin)


#41403
C'est depuis peu que République a pris son sens, actuel et précis, d'association politique fondée sur la libre adhésion des personnes à un idéal partagé.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41404
On garde peut-être aussi le remords d'avoir coupé la tête de Louis XIV.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41405
La laïcité met une frontière entre le « ce que je sais » et le « ce que je crois », entre le domaine de l'esprit et le domaine des âmes.

Régis Debray
(La République expliquée à ma fille)


#41406
Mis au service du régime, en société totalitaire, puis du marché, en société consumériste, le sport professionnel fait tourner la machine à sous, comme un rouage de plus dans la religion ambiante du salut par la "tune".

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41407
Ne lisant plus de livres ..., désertant les théâtres, rivée à ses petites phrases, flashs, sms et banderilles, elle s'est laissé corrompre par un illettrisme réactif, malin en apparence et finalement bébête. Peu d'expérience et guère de conviction: ne lui reste, pour faire carrière, qu'à s'adapter à ce qu'elle tient pour réel: Paris-Match et Free.

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41408
Peu informée du passé des religions et des présentes géographies culturelles, instruire par le formatage énarchique dans l'idée que l'histoire de l'humanité commence à la chute du Mur de Berlin et celle de la France du D-Day, cette génération en proie à une véritable éclipse de mémoire historique n'est pas en phase avec une actualité qui partout retrouve sa profondeur de temps.

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41409
il en est d'autres qui voient dans la République un état permanent et tranquille, un but nécessaire vers lequel les idées et les mœurs entraînent chaque jour les sociétés modernes, et qui voudraient sincèrement préparer les hommes à être libres. Quand ceux-là attaquent les croyances religieuses, ils suivent leurs passions et non leurs intérêts. C'est le despotisme qui peut se passer de la foi, mais non la liberté. La religion est beaucoup plus nécessaire dans la République qu'ils préconisent, que dans la monarchie qu'ils attaquent

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41410
La fraternité est moins une catégorie juridique qu’une joie de l’existence ; moins un principe à afficher dans un corpus, pour s’en débarrasser une fois pour toutes, qu’une gymnastique à pratiquer – à s’imposer – de loin en loin.

Régis Debray
(Le moment fraternité)


#41411
Quelle autre fraternité que négative peut sortir du refus des singularités, appartenances et pathologies ? Le "rien commun" peut-il unir ? L'idéal asymptotique de laïcité, qui aide à juger, distinguer et discerner, ne crée pas de 'nous' à lui seul. Aussi a-t-il dû, là où il fait valoir ses droits, emprunter leur force propulsive à des vecteurs préexistants et peu raisonnables. Tel le sentiment national

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41412
Pour l'heure, le "partenariat transatlantique" va bon train et "l'Europe" des artifices défait l'Europe profonde. Mue après guerre par les meilleures intentions du monde, à l'abri d'une paix gagnée par la dissuasion nucléaire et l'équilibre des deux blocs, le beau projet fut bientôt l'otage d'une idée naïve : qu'une Cour de Justice et un marché libre peuvent fabriquer un peuple, comme une monnaie unique un réflexe de solidarité et des directives, un sentiment d'appartenance. D'où est sortie une auberge espagnole où la langue anglaise fait loi, tout entière acquise aux forces du marché, que l'on voit reféodaliser les espaces nationaux, mettant les pouvoirs publics, ou ce qu'il en reste, sous la coupe d'empires financiers privés et de lobbies voraces.

Régis Debray
(Que reste-t-il de l'Occident ?)


#41418
Le lieu des lieux [Jérusalem], c'est pour moi un lieu, non pas de pèlerinage, mais de voyage au cœur de la haine, au bout de la haine. (p.190).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41419
La laïcité ne tombe pas du ciel, elle est le fruit d'une histoire extraordinairement compliquée. (p.175).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41420
Il fut un temps où la République était sacrée et où la Nation l'était tellement, que des millions d'hommes se sont sacrifiés pour elle. Pour moi, le sacré appartient à un ordre des choses totalement profane. (p.164).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41421
Là où il y a du collectif, il y a une croyance partagée. C'est la croyance qui rend possible l'action des hommes en tant que groupe, qui fait que l'individu se perçoit comme membre d'une entité capable d'agir collectivement. (p.162).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41422
L'école n'est pas le reflet de la société. Elle est un apprentissage de l'inadaptation sociale. Elle est là pour nous sortir de la famille, de l'hérédité, pour devenir tous égaux devant le savoir. (p.108-109).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41423
Transmettre, c'est savoir passer de l'instant à la durée. (p.96).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41424
Les outils de l'abstraction sont la pensée analytique qui est la pensée écrite.. Les sociétés orales n'ont pas de Dieu unique,;le Dieu unique est je ne dis pas produit mais en tout cas induit par les sociétés à écriture. (p.90).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41425
La technique invente l'homme. (p.79).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41426
Les conditions techniques de la circulation des idées aujourd'hui deviennent franchement embarrassantes pour les hommes d'idées. (p.55).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41427
Le grand ennemi du progrès, c'est le jeunisme. Une révolution jeuniste est une contre-révolution. [...] Rien n'est moins rétrograde que la tradition et être fidèle à une tradition, c'est penser l'avenir. (p.12).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41428
C'est parce qu'il se souvient du passé qu'un révolutionnaire a envie d'un avenir qui égale en quelque sorte le passé plus ou moins légendaire qu'il a en tête. Le conservateur se reconnaît à ceci qu'il n"a pas de nostalgie. (p.11).

Régis Debray
(Entretiens d'un été)


#41431
la charte de l'Unesco dit le vrai lorsqu'elle affirme que "les conflits prennent leur source dans l'esprit humain", mais on peut douter que "la solution des absurdes conflits qui nous déchirent" réside dans l'abandon, via l'éducation et la culture, d'une irrationalité mortifère (idéologies et préjugés), au bénéfice d'une réalité sans addition étrangère à laquelle le savoir pour tous nous donnerait demain accès.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41436
Le principe de laïcité place la liberté de conscience (celle d'avoir ou non une religion) en amont et au-dessus de ce qu'on appelle dans certains pays la "liberté religieuse" (celle de pouvoir choisir une religion pourvu qu'on en ait une).

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41437
La déontologie enseignante, et qui s'applique à l'exposé des doctrines, en philosophie, comme à celui des systèmes sociaux, en histoire, stipule la mise entre parenthèse des convictions personnelles. Donner à connaître une réalité ou une doctrine est une chose, promouvoir une norme ou un idéal en est une autre.

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41438
Il a été prouvé qu'une connaissance objective et circonstanciée des textes saints comme de leurs propres traditions conduit nombre de jeunes intégristes à secouer la tutelle d'autorités fanatisantes, parfois ignares ou incompétentes.

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41439
La République n'a pas à arbitrer entre les croyances, et l'égalité de principes entre croyants, athées et agnostiques vaut a fortiori pour les confessions.

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41440
Le premier des quiproquos: l'enseignement du religieux n'est pas un enseignement religieux.

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41441
Et c'est ici que l'histoire des religions peut prendre sa pleine pertinence éducative, comme moyen de raccorder le court au long terme, en retrouvant les enchaînements, les engendrements longs propres à l'humanitude, que tend à gommer la sphère audiovisuelle, apothéose répétitive de l'instant. Car ce que nous nommons, sans doute à tort, inculture chez les jeunes générations est une autre culture qu'on peut définir comme une culture de l'extension. Elle donne la priorité à l'espace sur le temps, à l'immédiat sur la durée, tirant en cela la meilleure part des nouvelles offres technologiques (sampling et zapping, culte du direct et de l'immédiat, montage instantané et voyages ultrarapides).

Régis Debray
(Enseignement du fait religieux dans l'école laïque)


#41442
Il y a, on le voit, une histoire et une géographie de l'indigne, comme de l'odieux. Le taux d'homicides volontaires n'a jamais été aussi bas en France (1,9 pour 100 000), où il n'a jamais autant question de violence. Venant d'un pays industrialisé où il est de 70 pour 100 000, à peu près comme au Moyen Âge, un Colombien (ou un Brésilien) débarquant chez nous en période de tocsin électoral n'en croit pas ses oreilles.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41443
La religion en mi-teinte des antireligieux a fini par décourager l'anathème autant que l'enthousiasme. Elle fait sourire certains, parodie, et ricaner d'autres, contrefaçon. Elle peut aussi attirer, bien légitimement, de très honnêtes gens en perte d'appartenance que la dilution des identités de quartier, de métier, de pays laisse sur le carreau. Ceux et celles pour qui une vie à la première personne du singulier ne sera jamais tout à fait réussie ne sauraient trouver leur compte dans l'association des philatélistes du département ou dans le club des supporters de la Juventus.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41444
Dans nos académies au cloisonnement grotesque, l'étude politique tourne le dos au fait religieux. D'où s'ensuit que les "politistes" donnent leur langue au chat quand un impatient leur demande ce que 'fraternité', ce maître mot qui, comme tant d'autres, a plus de valeur que de sens, peut bien signifier concrètement. Ce n'est pas faute, chez la fille aînée de l'Église, de savantes réflexions sur les trois mots sacramentels de notre laïque paroisse ("la sainte devise de nos pères", disait Pierre Leroux, l'inventeur du mot 'socialisme'). Quel rapport peut encore s'imaginer, au XXIe siècle, de la 'Fraternité', la plus chérie des nostalgies républicaines, mais qui se dérobe sournoisement à la prise des juristes et des philosophes, avec la 'Liberté' et 'l'Égalité', plus propices à la mise au net universitaire et constitutionnelle : clausule ternaire, rajout opportuniste, synthèse épanouissante, cheville interne pour réunir l'Égalité et la Liberté ? Ces jumelles, on le sait, font mauvais ménage. D'où le besoin d'un tiers désintéressé qui puisse servir de "facilitateur" à une République ontologiquement déchirée entre égalitaires et libéraux. La liberté, qui se définit comme "la faculté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui", a des conditions d'exercice fixées par la loi. Elle est d'expression, de réunion, d'entreprise, de presse, etc. De même parle-t-on d'égalité devant la loi, l'emploi, l'impôt, etc. La fraternité n'a ni définition, ni domaine de compétence, ni décret d'application. Le droit canonique pourrait bien débrouiller la question, mais qui y met son nez ? Le mot qui résonne sonne creux. 'Fraternité' reste un opéra sans livret.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41445
À Ligugé, en France (Vienne), le plus ancien monastère d'Occident, fondé en 363 par saint Martin de Tours, où aucune naissance n'a jamais eu lieu, vivent, travaillent et prient en 2003 quelques dizaines de bénédictins, mais à Nauvoo, dans l'Illinois, ou à Dallas, Texas, reproduction libre, il n'y a plus trace d'Icariens. Le temps, qui passe tout au crible, a rendu son verdict : consistance religieuse, inconsistance utopique. L'avant-garde selon Bakounine - qui rêvait d'hommes "fermement unis en une Société Secrète et agissant partout et toujours en vue d'un même but et selon le même programme" -, la cellule monastique s'en est plus rapprochée que le noyau révolutionnaire. Étrange. Comme si le moine n'avait pas trouvé un rival à sa mesure dans le communisant, pourtant grand admirateur de Thomas More (qui avait sa plaque sur les murs du Kremlin).

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41453
Quand on va sur le Net pour se livrer à des centaines de milliers de personnes, on ne se livre à personne. On veille sur sa marionnette.

Régis Debray
(Modernes catacombes)


#41454
La relation épistolaire exige 1) de ne pas être trop dérangé du matin au soir, 2) d'avoir de quoi boucler ses fins de mois. [...] L'exercice est bénévole. Flaubert, le veinard (quatre cent lettres entre lui et George Sand), avait une cuisinière et des rentes. La fin des "bonnes" à domicile, dans la moyenne bourgeoisie intellectuelle, 'est pas étrangère à l'épuisement de cette générosité de coeur et d'esprit qui consiste à prendre son temps et une feuille blanche pour prendre des nouvelles d'un tiers. Quand il faut faire chaque matin ses courses et son frichti, soutenir une longue correspondance relève d'une sorte de sainteté, aux limites de la névrose.

Régis Debray
(Modernes catacombes)


#41455
Le réel, c'est ce qui nous résiste et nargue nos plans sur la comète.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41456
« Nos lieux de justice pénale, protégés à la fois par le gendarme et leur aplomb, n’ont pas besoin d’une Bible posée sur une table, comme aux Etats-Unis, ni d’un crucifix accroché au mur, comme en Italie, pour intimer silence et respect. L’ordonnancement théâtral du prétoire nous signifie d’avoir à bien nous tenir une fois franchie la double porte capitonnée pour prendre place dans la salle d’assises ou la chambre d’appel, où n’importe qui ne s’installe pas n’importe où, comme dans une église. »

Régis Debray
(Jeunesse du sacré)


#41457
Une oeuvre vaut autant parce qu'elle éclaire en nous que parce qu'elle laisse dans l'ombre ; et les questions embarassantes dont elle nous exonère la rendent souvent plus attractive que les réponses qu'elle nous suggère. Je n'aime pas les identités. Je n'aime que les appartenances. Pas de bonheur d'un jour qui ne tourne au mallheur pour demain. La catastrophe comme rebond et la victoire se retournant en défaite.

Régis Debray
(Un candide en Terre sainte)


#41458
Les philosophes ont la chance d’avoir Minerve pour déesse protectrice. Sa chouette prend son vol au crépuscule. Heureuse coïncidence, c’est là où j’en suis. Ce volatile, juste avant la nuit, nous prête sa vue plongeante sur l’enfilade des hasards qui nous a fait grandir. On peut alors rembobiner le film et discerner comme une courbe reliant nos saisons l’une à l’autre. Pardon pour l’outrecuidance mais il m’a semblé que la parabole d’un « intellectuel » français, ayant connu plus d’un pays et quelques écarts de conduite, pouvait, comme un document parmi d’autres, contribuer à la cartographie d’une époque très bousculée, sous le choc d’un glissement de terrain digne de considération.

Régis Debray
(D'un siècle l'autre)


#41459
« Dans un siècle taraudé par la politique, hier, une myriade de révolutionnaires sans révolution ; dans un siècle bouleversé par la Tech, aujourd’hui, une enfilade de révolutions sans révolutionnaires »

Régis Debray
(D'un siècle l'autre)


#41460
Extraire un stock d’un flux constitue, par le biais de la collection, le procédé standard d’une bonne acculturation, qui fait passer l’insignifiant dans le domaine du sens.

Régis Debray
(Introductionà la médiologie)


#41461
L'été sied à Paul Valéry, un solaire impénitent, un Méditerranéen qui nous enjoint de courir à l'onde en rejaillir vivant.

Régis Debray
(Un été avec Paul Valéry)


#41462
"Il y a peut-être une explication psychosomatique à la différence des tempéraments. L'émotion en géographie est intimiste. Elle naît d'une solitude ou d'une contemplation. Elle nargue le métro-boulot-troupeau, pour le trekking en Himalaya ou la taïga sibérienne. L'émotion historique, elle, est chorale et naît d'une communion. C'est le frisson que nous donne une multitude au coude-à-coude, un cortège à l'unisson (..) p.60

Régis Debray
(D'un siècle l'autre)


#41467
L'indécence de l'époque ne provient pas d'un excès, mais d'un déficit de frontières. Il n'y a plus de limites à parce qu'il n'y a plus de limites entre.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41468
Le prédateur déteste le rempart, la proie aime bien.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41469
La première valeur de la limite, c'est la limitation des valeurs.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41470
Aimé Césaire estimait qu'on pouvait se perdre "par ségrégation murée dans le particulier ou pas dilution dans l'universel." De ces deux suicides, le second est aujourd'hui le plus tentant, et le mieux rémunéré.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41473
Le faustien, on l'a compris, est un Blanc, un homme pressé, un manager qui aime les graphes et les tableaux Excel. C'est un urbain, un startupper, un homme d'initiative et d'industrie. L'ailleurs le démange et le lendemain l'inspire. Tout le contraire du bouseux collé à son lisier et au retour des saisons. Il ne cache pas son magot sous le matelas, lui, il risque, joue et gagne Il a foi dans le progrès, non sans raison, puisqu'il diminue sans cesse, par ses astuces et prototypes, la peine de vivre. Le maître des horloges a des plans de campagne appelés prévisions de croissance, car c'est un guerrier, et des réunions d'Etat-major, appelés G8 ou G20, car il voit grand. En tout, il mesure la performance, exige le maximum, et brandit le chronomètre. En clair, c'est l'homme de l'Esprit, tel que Valéry le définit : non un "flatus vocis", un gaz immatériel et flou, mais une "puissance pratique de transformation du réel", active et proactive. L'Esprit, oui, par opposition à la Nature. Ces termes démodés, jugés peu recevables par nos maîtres-déconstructeurs, il nous faut les assumer, avec ou sans leur majuscule hautaine. S'entendra ici, prosaïquement, par nature, à la façon stoïcienne, l'ensemble des choses qui ne dépendent pas de nous, et par esprit, le système élaboré des forces qui s'appliquent à faire qu'elles dépendent de nous. Ce ne sont pas là deux blocs métaphysiques immuables, puisqu'au fut et à mesure que l'esprit accroît ses moyens d'intervention, tout ce sur quoi nous n'avons pas prise - la nature - doit battre en retraite. Réduire au plus strict minimum l'antique force des choses, ce fut la raison d'être, et à court terme, la réussite de qui ouvre des lignes aériennes, arase les haies vives et asphalte les chemins de terre. Qui procède au remembrement des parcelles, assainit la bocage, améliore la productivité, fait ses additions et réclame un bonus. Qui, en ville, taille des avenues et remplace les ruelles par des esplanades. Tout ce qui entrave et enclave, pèse et empèse, l'insupporte - Héritage, Tradition, Localisation. Pas de fil à la patte. Respecter, c'est radoter. Son devoir à lui est de créer du jamais vu. L'an I de la République. L'an I de l'homme nouveau. "Du passé faisons table rase", de la couche d'ozone, des nappes phréatiques et des séquoias aussi, et demain l'Internationale sera le genre humain. Rien de plus condamnable, à ses yeux, et de plus rétro, que l'injonction d'Epictète : "Ne prétend pas changer la nature des choses." Lui, justement, c'est son métier, son orgueil, sa feuille de route.

Régis Debray
(Le siècle vert)


#41474
(De l'opposition entre vision artiste et vision génétique, p. 133, chap. 4, Vers un matérialisme religieux ) On connaît le dialogue de sourds entre la prolifération charismatique de « l'effet d'art », sans valeur de connaissance, et la connaissance, sans grâce ni sensibilité, de ses causes et facteurs objectifs. Connaisseurs et artistes récusent comme cuistres et philistins ceux qui reconduisent l'oeuvre d'art à ses conditions extérieures, au nom d'une expérience intuitive, incommunicable et intimiste dont ils assurent qu'elle est le vrai de l'art. Chaque œuvre, disent-ils, est unique. Royaume du particulier, l'art exclue toute généralisation, n'admet que la monographie, et le jugement cas par cas. Rien ne peut s'expliquer, tout doit s'interpréter. Sociologues et historiens, de leur côté, accueillent les effusions souvent verbeuses de l'ineffable comme les symptômes de ce qu'ils dénoncent. L'oeuvre d'art, disent-ils, est un artefact social, et la dénégation esthétisante de ce conditionnement social est elle-même un fait social. Derrière ce jeu de dédains croisés, ces accusations mutuelles de terrorisme, peut-être y a-t-il une antinomie de la Raison esthétique, un embarras sans solution analogue au dilemme de l'ethnologue pris entre le désir de participer et le besoin de se distancier.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41475
La princesse Olga Stolitzine. Son mari a été fusillé par les bolcheviks. Elle a commencé ici comme entraîneuse, et Sa Majesté Dû-Yu-Sen en a fait sa maîtresse préférée. Il a même acheté le Black-Cat pour qu'elle se sente chez elle.

Régis Debray
(Sur la mort d'Albert Londres)


#41476
Les hommes de pouvoir sont versatiles en amitié par force, ils n'ont pas de temps à consacrer à ce qui ne peut plus leur servir.

Régis Debray
(Carnet de route)


#41477
La gloire, c'est moins vulgaire que la célébrité; c'est une renommée à retardement comme un bouton de chrysanthème planté par un jardinier prévoyant au pied d'une fosse fraîchement remuée.

Régis Debray
(Carnet de route)


#41478
Depuis que le monde est monde, il faut neuf mois pour faire un enfant, deux ans pour un réseau de résistance, dix pour un parti politique et trente pour une révolution. Depuis que le monde est monde, il faut et il suffit d'une seconde pour tuer un être humain, une minute pour détruire un réseau, une journée pour faire capoter une révolution. [...] Ce qui se passe, c'est que le bonheur prend son temps et que le malheur va vite. Ce qui arrive d'un coup d'un seul, ce n'est pas la vie, c'est l'accident. Il faut par principe s'en méfier. la poker et la foudre n'ont jamais porté bonheur à personne.

Régis Debray
(Carnet de route)


#41479
L'invention de la perspective géométrique (...) va rendre le regard occidental orgueilleux, et d'abord de sa perspicacité. Perspicere, c'est voir clairement et à fond. (...) Elle va permettre d'éclairer, donc d'évacuer, les mystères, les doubles fonds du visible dans une transparence purement humaine. (p 250)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41480
Par chance, les quidams meurent encore. Vous et moi. Et toujours avant l'heure. Il y aura donc encore place pour un Bacon, un Balthus, un Cremonini. Un Robert Bresson ou un Kubrick. Tous imagiers qui veulent gagner la course contre la gueuse. Tant qu'il y a de la mort, il y a de l'espoir - esthétique. (p 37)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41481
L'idole fait voir l'infini ; l'art notre finitude ; le visuel, un environnement sous contrôle. (p 37)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41482
Il y eut "magie" tant que l'homme sous-équipé dépendait des forces mystérieuses qui l'écrasaient. Il y eu "art" ensuite quand les choses qui dépendaient de nous devinrent au moins aussi nombreuses que celles qui n'en dépendaient pas. Le "visuel" commence lorsque nous avons acquis assez de pouvoirs sur l'espace, le temps et les corps pour ne plus en redouter la transcendance. Lorsqu'on peut jouer avec nos perceptions sans crainte des arrière-mondes. (p 35)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41483
La naissance de l’image a partie liée avec la mort. Mais si l’image archaïque jaillit des tombeaux, c’est en refus du néant et pour prolonger la vie. La plastique est une terreur domestiquée. Il s’ensuit que plus la mort s’efface de la vie sociale, moins vivante est l’image, et moins vitale notre besoin d’images. (p16)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41484
Notre regard fut magique avant d'être artistique. Il devient à présent économique. Il n'y a pas d'image en soi. Son statut et ses pouvoirs ont varié au gré des révolutions techniques et des croyances collectives. L'ère des images n'aura-t-elle été qu'une brève parenthèse entre le temps des "idoles" et celui du "visuel" où nous sommes entrés ?

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41485
Le ridicule a sans doute commencé dans nos années soixante, avec l'industrialisation du voyage, le charter, les hippies, les concerts rock, la “civilisation des loisirs”. L'apparition de deux jeunes randonneurs fauchés, torse nu, “à barbe structuraliste” et buvant au goulot suffit à plonger Paul Morand dans la dépression, en conclusion de son Venises. Il y avait de quoi : dans la crypte suprême, se retrouver persécuté par les déchets, quand on observait dès 1933 : “en ce moment, tous les pays exterminent leur vermine, sauf le nôtre.” C'était l'après 68.

Régis Debray
(Contre Venise)


#41486
1919, traité de Versailles. Pour la première fois depuis deux siècles, le texte français d'un accord international fait plus loi. Le président Wilson exige une version en anglais. Le français cesse d'être la langue de la diplomatie. 1920, fondation à New York, par Duchamp et Man ray, de la société anonyme, un lieu pour exposer de l'art "moderne". "L'homme le plus intelligent et pour beaucoup le plus gênant de cette première partie du XXe siècle (André Breton sur Duchamp) s'est installé aux États-unis dès 1915. L'urinoir signé R.Mutt, le célèbre ready-made, est exposé à New York en 1917. (derrière un écran). 1925, la Métro Goldwyn Mayer rachète les parts du Crédit commercial de France de la société anonyme de la société Gaumont. Confirmation du transfert de l'usine à rêves de Paris à Hollywood. 1926, Charles Pathé abandonne à Kodak (USA) le monopole de la fabrication du film vierge, qu'il avait arraché à Georges Eastman avant la guerre. 1927, Warner Bros produit le premier film parlant. Le Chanteur de jazz. "Si cela marche, a dit le producteur, le monde entier parlera anglais. (L'image sonore n'arrivera en France qu'en 1930.) 1943, création de l'Amgot (Allied Military Government of Occupied Territories). Confondant libération et occupation, le président Roosevelt signe un projet d'administration de la France libérée donnant au commandement suprême allié toute autorité sur l'ensemble du territoire et prévoyant une monnaie imprimée aux États-Unis et distribuée par l'administration américaine à la population. Plan déjoué au printemps 1944 par de Gaulle, avec l'appui sur place du général Eisenhower. 1946, signature de l'accord Blum-Byrnes. Vichy avait interdit les films américains. Une fraction de la dette française effacée, en contrepartie de quoi les États-Unis, sous l'égide d'une maxime perspicace, trade follows the film, exigent l'abandon du quota pour les productions américaines et une sévère réduction des exclusivités pour les films français (de sept à quatre semaines). Se créera en réaction un comité de défense du cinéma français (Jean Marais et Simone Signoret), et le centre national du cinéma viendra au secours des films français, leur production ayant chuté de moitié. En Allemagne, après guerre, la diffusion des films américains n'est pas réglementée. 1946, parallèlement au plan Marshall, les États-Unis lancent le programme Fullbright "pour la reconstruction intellectuelle de l'Europe". 1948, promulgation de la Déclaration universelle des droits de l'homme, "l'homme moral de notre temps". Votée par l'assemblée générale des Nations unies à Paris, au palais de Chaillot, mais rédigée à Lake Success en 1947, sous l'égide de la grande Eleanore Roosevelt, veuve du président, elle représente à double titre, par son caractère d'universalité, une considérable avancée sur la déclaration de 1789. C'est l'individu en tant que tel, qu'il soit apatride, réfugié, migrant ou demandeur d'asile, qui devient sujet des droits imprescriptible et les principes énoncés, quoique dépourvus de caractère obligatoire, s'imposent à tous les pays.

Régis Debray
(Civilisation)


#41487
Comme il y a des mots qui blessent, tuent, enthousiasment, soulagent, etc., il y a des images qui donnent la nausée, la chair de poule, qui font frémir, saliver, pleurer, bander, gerber, décider, acheter telle voiture, élire tel candidat plutôt que tel autre, etc.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41488
Regarder n’est pas recevoir mais ordonner le réel, organiser l’expérience. L’image tire son sens du regard...

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41489
Le protestantisme est comparable à une bibliothèque, le catholicisme à un cinéma.

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41490
L’idole fait voir l’infini ; l’art notre finitude ... (page 37)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41491
Le commentaire et l’émotion ne mobilisent pas les mêmes neurones. (...) Tant il est vrai que l’émotion commence où s’arrête le discours. (page 49)

Régis Debray
(Vie et mort de l'image)


#41492
Le poète-mathématicien est pacifiste et croit dans la Raison comme puissance unificatrice des nations et facteur de paix.

Régis Debray
(Un été avec Paul Valéry)


#41493
Et que dire du réflexe propre à tout isme en perdition, le poussant à réclamer d’aller plus loin encore dans la même direction ? Le communisme a perdu « parce que nous n’avons pas été assez communistes », la monarchie de droit divin parce qu’elle a trop transigé avec les ennemis de Dieu et l’Europe défaille parce qu’il n’y a pas assez d’Europe : réaction quasi réglementaire des militants d’une cause à sa mise en échec par les malheurs du temps.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41494
Si l’UE ressemble à un rassemblement pour la photo de groupe, elle le doit pour beaucoup à son défaut d’inscription dans l’espace et dans le temps. Europe reste un mot faible qui n’implique que faiblement ceux qui l’utilisent (un nom sans substitut commun possible, tel que pays, État, nation ou patrie), parce qu’elle ne suscite chez ses administrés aucun vibrato affectif, incolore et inodore parce que trop cérébrale. Bonne à concevoir plutôt qu’à sentir, à calculer plus qu’à imaginer, comme toute vue de l’esprit pauvrement musicale, la marotte des têtes pensantes contourne les cœurs simples. George Orwell ne supportait pas l’idée qu’un Anglais puisse écouter le God Save the King sans se mettre au garde-à-vous. Nous craindrions, nous, pour la santé mentale d’un passant se figeant sur le trottoir à l’écoute de L’Hymne à la joie.

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41495
Ce n’est pas le Zollverein, l’union douanière, qui a fait l’unité allemande, c’est Sadowa, Sedan et les Nibelungen (plus la bière, Luther et la Forêt Noire).

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41496
C’est la paix mondiale par la mise hors jeu des arsenaux et des méfiances traditionnelles qui a fait l’Europe unie, et non l’inverse (comme nous aimons à le répéter car c’est flatteur pour nous).

Régis Debray
(L'Europe fantôme)


#41497
Les pays issus de la Réforme ont un avantage sur leurs voisins, plus arriérés : ils ne mettent pas de volets aux fenêtres. La vertu cultive les maisons de verre, le vice, les maisons closes (les prostituées à Amsterdam sont en vitrine). Un citoyen digne de ce nom dans ces contrées nordiques, ne traverse pas au rouge une rue déserte à trois heures du matin. Dans la demeure mal chauffée du pasteur, les descendants d'Adam et d'Ève ne trichent pas avec le fisc. On fait du piano et on lit la Bible le soir, à voix haute, en famille. Cette absence de rideau vient de loin. Du tout début de l'ère chrétienne.

Régis Debray
(Le nouveau pouvoir)


#41498
Je ne te demande qu'une chose : d'échapper à la plaie de notre époque, qui est de vouloir se faire aimer, complaire à tous, et racoler des fans. ... Inquiète-toi dès maintenant du nombre de tes followers, fans et amis sur les réseaux sociaux. Le jour où tu seras applaudi par un large auditoire, dis-toi bien que tu viens de faire ou de proférer une grosse bêtise. Ne réponds pas à la sommation du like et du cookie. Le pire, quand on se met à "courir après l'omnibus", c'est qu'on finit par le rattraper.

Régis Debray
(Bilan de faillite)


#41500
Fossile obscène que la frontière, peut-être, mais qui s'agite comme un beau diable.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41501
Notre territoire s’élargit, notre calendrier rétrécit ; l’horizon recule, la profondeur s’annule ; et les nouvelles générations circulent sur le Web plus facilement que dans la chronologie.

Régis Debray
(Source inconnue)


#41502
Quand le monarque a le Ciel pour témoin, il a Bossuet comme visiteur du soir ; quand il pense à Vercingétorix, il a Malraux ; quand il pense au taux d'intérêt, il a Jacques Attali!

Régis Debray
(L'erreur de calcul)


#41503
On en finira jamais avec la frontière parce qu'elle est inhérente à la règle de droit et même quand elle prend la forme funèbre du Styx et du nocher Charon faisant passer les morts de l'autre côté du fleuve, elle est bonne à vivre.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41504
Régis visite une expo d'art contemporain. Voir et entendre comme on y est convié à l'entrée de chaque salle, via des moniteurs de grande taille, des artistes théoriciens, interrogés sur le rapport qu'ils entretiennent à leur pratique, au temps, à l'espace, au corps, aux matériaux, à la mort, etc..,répondre par des platitudes et des lieux communs, avec un vocabulaire de trente mots, suggère qu'avant d'implanter des cours d'éducation artistique il ne serait pas mauvais que l'Education Nationale permette à ces défricheurs en friche de quitter l'école en sachant lire et écrire (ART PRESS et LIBERATION ne suffisant pas toujours à combler cette lacune pédagogique).

Régis Debray
(Dégagements, tome 2 : Un candide à sa fenêtre)


#41505
Un groupe d’appartenance se forme pour de bon du jour où il se ferme,

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41506
Dans La Forme d’une ville, Julien Gracq rappelle que « l’état de friction latente et continuelle électrise les rapports ». Le frotti-frotta civilisationnel provoque de l’eczéma. Les intégrismes religieux sont les maladies de peau du monde global où les cultures sont à touche-touche.

Régis Debray
(Eloge des frontières)


#41507
Dans l’immédiat, tourner le bouton quand arrive l’heure des infos exige un peu d’abnégation. On se libère plus facilement du sexe et de la coke que de l’envie de savoir.

Régis Debray
(Madame H.)


#41508
L’arrogance du présent nous a du moins soulagés d’une langue de bois, celle de monsieur-ce-sera-mieux-après, qui peut rivaliser sans peine avec monsieur-c’était-mieux-avant, O tempora, o mores, ô triste monde réduit aux acquêts, livré aux hashtags et sans ligne de fuite !

Régis Debray
(Madame H.)


#41509
Ce n’est pas un hasard si neuf révolutionnaires sur dix sont passés par un long stage d’immobilité en prison, s’entraînant de la sorte aux desseins impavides et longuement mûris. L’histoire appartient à ceux et celles qui, s’étant levés tôt, n’attrapent pas la bougeotte après le petit déjeuner.

Régis Debray
(Madame H.)


#41510
Propices les époques où les gens de cabinet sont autorisés à tenir une crosse dans une main et une plume dans l’autre ; où l’idiot de la famille n’a pas à choisir entre lire les bons auteurs et affronter les tueurs, entre la tribune et la cave.

Régis Debray
(Madame H.)


#41511
Personnalités, journalistes, gobe-mouches : chaque étage de la pyramide repose sur les deux autres. Que serait un people sans paparazzi, un paparazzo sans voyeurs, un voyeur sans lucarne ni Gala ? Tout se tient dans notre pyramide ; distinction, oui, apartheid, non ; c’est l’honneur de nos démocraties que de jeter des passerelles entre les paliers, et une étoile de vedette dans chaque berceau, en donnant aux regardeurs la possibilité de passer un jour derrière, pour devenir un reluqué à part entière.

Régis Debray
(Madame H.)


#41512
« Le juste » est celui par qui la justice divine doit s’accomplir, de façon imminente, sans que l’on sache exactement quand, sinon que c’est pour très bientôt. Les temps sont proches. Et comme il y va de la rémission de nos péchés, on joue gros. Une seconde d’inattention, et plus de vie éternelle.

Régis Debray
(Madame H.)


#41513
Qu’est-ce qui arrive quand le mal d’Histoire vous prend ? Rien. On attend. On ne se lasse pas d’attendre. Et quand ce que l’on a attendu n’arrive pas, on continue d’attendre, un autre mirage, puis un troisième. Quand je n’ai plus de rouge, je mets du vert. Plus de rose ? Du bleu.

Régis Debray
(Madame H.)


#41514
Quand un homme garde à l’esprit tout ce qu’il faut endurer pour durer un petit peu post-mortem, chaque avanie lui est un soleil levant, chaque montée en grade une ampoule qui saute.

Régis Debray
(Madame H.)


#41515
Un homme de foi bien informé ne cède pas à la flatterie. Il tient la célébrité pour un sale petit quart d’heure, fatal au développement durable.

Régis Debray
(Madame H.)


#41516
Un Dieu fait homme, ça n’abandonne pas ses fidèles en chemin et ça met des fourmis dans les jambes ; ça force à garder l’œil sur le cours de choses, sans s’embrasser l’épaule, et à se donner du mal pour faire le bien. Un baptisé confirmé n’est pas passif dans la main de Dieu ; son salut est l’opération commune du Créateur et de la créature, et son livre d’heures, le calendrier civil. Son destin s’appelle Histoire. Pour un musulman, les jeux sont faits, après la nuit du destin il ne peut plus rien se passer de très intéressant : les choses suivront leurs cours toutes seules, inch’Allah.

Régis Debray
(Madame H.)


#41517
C’était pécher par optimisme : les politiciens, c’est au quotidien ; le grand homme, une fois par siècle, et quand le petit tarde en chemin, on lui pose un lapin.

Régis Debray
(Madame H.)


#41518
Il faut être naïf comme un Anglais pour s’imaginer que Wellington a gagné la bataille de Waterloo. Avec sa « morne plaine », c’est Victor Hugo qui a nettoyé le terrain, et Cambronne, l’affront. Gamelin contre Rommel, inutile, on n’est pas de taille. Eluard contre Goebbels, allons-y, c’est tenable. L’alexandrin, notre terre de haut, ne ment pas. Pourquoi envier la récurrente suprématie du Teuton, cet être fruste et balourd à la nuque rasée, si l’Astérix chevelu peut toujours sortir de sa malle un clairon avec un génial zigoto pour lui courir après. Ou un accordéon, pour les piafs de Belleville. Laissons à Berlin les finances, l’acier, les machines-outils. Gardons le Mumm cordon rouge, la rime à Jérimadeth et les titres pirouettes. La rime vaincra.

Régis Debray
(Madame H.)


#41519
À l’âge où le clampin se destine normalement au « dérèglement de tous les sens », aux « cieux crevant en éclairs », « aux neiges éblouies » et aux « cheveux des anses », je me jurai in petto de donner la priorité à la défense du territoire. On avait manqué à la grande dame, il fallait réparer. Et puisque le Français perd la première manche parce qu’il n’est plus de force (la bataille de la Marne ayant pompé les réserves d’énergie), mais gagne la seconde parce qu’il garde la forme, ma ligne Maginot serait en vers, mais cette fois, elle tiendrait bon.

Régis Debray
(Madame H.)


#41520
Le bien-être reprenait ses droits, ce qui m’initia à la classique distribution des rôles dans ces croisades à répétition. Les militaires promettent la lune, les ministres promènent le pékin, les gazettes emboîtent le pas, et nous applaudissons tous en rythme, de bon cœur. Le numéro plaît, le public bisse, et on recommence. Suez, Alger, Bagdad, Kaboul, Tripoli, demain la suite.

Régis Debray
(Madame H.)


#41521
Après la chute, la rechute. On ne pouvait plus ruser avec le noir envers des choses dont mes bons maîtres et ma famille me laissaient voir seulement l’endroit.

Régis Debray
(Madame H.)


#41522
La chair est triste, l'horizontale aussi, surtout quand on ne lit plus de livres ; et les distractions du cynisme assez limitées.

Régis Debray
(Madame H.)


#41523
Comment garder l'Histoire en vie dans les têtes si, Soljenitsyne en alibi, on abandonne l'économie du salut en cherchant son salut dans l'économie?

Régis Debray
(Madame H.)


#41524
Qu'on le veuille ou non, on assiste aujourd'hui en Occident au reflux de la politique de l'émotion et au grand retour de la Realpolitik.

Régis Debray
(Que reste-t-il de l'Occident ?)


#41525
Le grand atout de la pensée politique occidentale est qu'elle n'est jamais figée dans le ciment et qu'elle sait parfois évoluer. Elle reste fille de la Liberté. Quand l'électorat américain eut compris que la politique proche-orientale de Georges W. Bush menait à une impasse, il changea de cap à 180° pour confier l'exécutif à Barack Obama, l'exact opposé de son prédécesseur.

Régis Debray
(Que reste-t-il de l'Occident ?)


#41526
(...) Le mont où Dieu habite, site prédestiné de l'unité et summum de la partition, où cinq cents caméras vidéos nichées sous les toits tiennent à l'oeil les enfants d'Abraham? Un message d'amour universel dont les adeptes fonctionnent à la haine du voisin et cousin? On ne peut se contenter de moraliser. Là où se découvre à ciel ouvert la face noire d'un dieu de lumière, mieux vaut mettre le chromo de côté, et le prêchi-prêcha, pour affronter le réel -barrières métalliques, fils barbelés et terrasses fortifiées. Etrange: le bornage de l'Infini. La résidence de l'Illimité convertie en paradis du bouclage où la lutte pour occuper chaque pouce de terrain est de chaque minute. Jérusalem: une ville où l'on ne se parle pas, où l'on ne se voit même pas d'un quartier à l'autre; où le souci de la coupure, entre les quatre réduits qui se partagent la ville (juif, chrétien, arménien et musulman) est le plus obsessionnel. Si l'Eternel se tenait en amont de ses tribus, la bonne entente régnerait entre ceux qui le prient dans les églises, dans les mosquées et au mur des Lamentations (...) "Le syndrome de Jérusalem", pp.139, 140.

Régis Debray
(Dieu, un itinéraire)


#41527
L'étrange animal qui préfère donner du sens au monde, par le geste et la parole, plutôt que le prendre pour ce qu'il est, témoigne par là même d'une aptitude constitutive à la paranoïa, au fantasme, à l'esprit de système, à l'hallucination collective, et autres originalités aussi ravageuses que créatives. L'enchantement du monde, par le fait, signifie son ensauvagement non moins que son embellissement. C'est la mise en abîme du vécu par le symbole qui nous met simultanément au-dessous et au-dessus de l'animal. Au-dessous par la dangerosité, et au-dessus par la créativité. Le mammifère apte au sacrifice de soi l'est ipso facto au meurtre de l'autre, et s'il n'avait pas été capable d'exterminer (son congénère, sans nécessité biologique), il n'aurait pas été capable de croire prier et jeûner. Sa vulnérabilité spécifique aux suggestions du suprasensible (dont le divin est une variante) rend le primate humain génial, imprévisible, extravagant, mais par là même redoutable pour ceux de ses congénères qui n'attachent pas aux choses les mêmes significations que lui (et qui sont la majorité).

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41528
Nous ciblons "la violence à la télévision", en négligeant la violence des Écritures sacrées. Sans doute, en videosphère, les images ont-elles plus d'impact que les mots, mais combien de moins de seize ans auraient encore accès au trésor littéraire et religieux de l'humanité si la signalétique "jeunesse" du CSA ("destinée à alerter les téléspectateurs sur le caractère inadapté de certains programmes télévisés pour le jeune public") s'appliquait à nos manuels scolaires ? Il faut se féliciter que le Bureau de vérification de la publicité ne soumette pas les scènes primitives de notre univers symbolique (Œdipe, Médée, les Atrides, Romulus et Remus, Caïn, le Veau d'or, la conquête de Canaan, etc.) aux mêmes critères que nos spots télévisés.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41529
Nos métropoles mettent deux miroirs à disposition de l'émancipé, qui devraient l'amener à réfléchir plus souvent sur ce qu'il est, non sur ce qu'il aimerait être : le zoo et la cathédrale. On ne perd jamais son temps à s'y promener, et surtout à faire des allers-retours (entre Notre-Dame et le Jardin des Plantes, quand on est parisien, le périple peut se faire à pied). 'L'homme passe infiniment l'homme' : et les ménageries nous confrontent sans ménagement à ce qui dépasse côté singe, et 'Le Messie' de Haendel, à ce qui dépasse côté ange. Si notre espèce devait un jour se donner un drapeau - pour se distinguer des voisines -, il serait sang et or. Chez nous, les bipèdes sans plumes, on tue le congénère, et on adore le Tout-Autre. Vous, les quadrupèdes, vous n'adorez personne et ne tuez que des étrangers. Le mammifère humain se cerne mieux en tenaille, par le Tout-Autre et le tout-proche. Suivre l'évolution des hominidés, de l'Homo erectus (-700 000) au Sapiens sapiens (-35 000), oblige à réunir les deux bouts de la chaîne, le chimpanzé et l'ascète, la tanière et la crypte. Dont le recroisement a produit le primate omnivore à station verticale, vous et moi. Disons qu'il faut prendre le dieu Râ ou le Brahman au sérieux, aussi bien que le macaque rhésus ou le petit bonobo, si l'on veut pouvoir repérer sans chichis ni faux-semblants par quoi le singe vertical, avec son nimbe et ses souillures, se différencie du cousin non humain.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41530
Primo Levi rapporte qu'au cours d'une sélection pour la chambre à gaz il entendit son voisin murmurer une prière à "Joseph". Il mît quelque temps à comprendre qu'il s'agissait du petit père Staline, non du beau-père de Jésus.

Régis Debray
(Le feu sacré)


#41531
Chaque variante du père du Père éternel a ses sortilèges, un électromagnétisme propre à telle ou telle sorte d'esprit. Parmi les attraits du judaïsme: l'absence de dogme, le culte en famille (la table faisant autel), le côté pratique des misvoth, observances sans obligation de croyance, la cohésion dans les périls, une ancienneté sans égale. Parmi les séductions de l'islam: la simplicité doctrinale et la conversion éclair (une phrase à prononcer), la polygamie (pour les hommes), l'absence de monopole clérical, la libre concurrence des écoles, l'ignorance du péché originel, le confort des consultations juridiques, l'agrément du paradis (houris ou bien éphèbes). Plus familières nous sont, en Europe, les aménités chrétiennes: un Dieu à tutoyer, la sensualité des images, l'ouverture au féminin, le moindre poids des Ecritures, qui ne sont pas des diktats divins mais seulement inspirés, la valorisation de l'individu et la faculté de négocier avec l'absolu, moins inconnaissable, inaccessible et implacable qu'Allah. Qui souffre dans sa chaussure peut en chercher une autre à son pied. Et ce n'est pas à la chaussure qu'il faudra s'en prendre, en cas de malheur, mais au pied. Un obsessionnel se sentira à l'aise dans une religion de la Loi, judaïsme ou islam; la foi chrétienne s'entendra mieux avec un imaginatif ou un fantasque. L'individu qui aime agir en conscience trouvera plutôt son bonheur chez Luther. Le conformiste, l'homme d'ordre, à la mosquée. Aléa des caractérologies, mystère des affinités..."p.417 en Folio

Régis Debray
(Un candide en Terre sainte)


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