Seth Messenger : Citations de Jean-Bertrand Pontalis

Jean-Bertrand Pontalis a dit :

(Langue maternelle)
Jean-Bertrand Pontalis
(Citations)
#40689
Et, ne l'oublions pas, en ce temps où l'on vante à l'envi la créativité de tout un chacun, la poésie est une science exacte, la peinture un métier et la littérature un style !

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40690
Je me refuse à admettre que la perversion soit une forme de sexualité comme une autre.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40691
Quel bonheur, quelle promesse de bonheur dans la différence sexuelle? Quelle chance que les femmes ne soient pas faites comme nous, les hommes! Etre emporté hors de soi certes peut rendre fou, de colère, de dépit, mais nous permet aussi d'être traversé par un désir insensé, de connaître l'amour fou -ou sage s'il en existe. Je plains narcisse. J'éprouve de la pitié pour Hermaphrodite. Ils ignorent que la petite différence fait toute la différence, et que c'est elle qui anime nos corps et, de part en part, tout notre être.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40692
Nul ne peut s'arranger avec la mort. Mais chacun de nous trouve une issue pour s'arranger avec les morts.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40693
Ce livre-ci n'aura été qu'une navigation sans but et sans boussole, qu'une promenade rêveuse comme celle que suscite la vue d'un arbre, d'une fleur, d'un écureuil roux ou d'un lapin apeuré - à défaut d'un ange-oiseau venu du ciel -, le long d'un sentier au coeur d'une forêt, ou lorsqu'on trace son chemin à travers champs sans savoir où nos pas vont nous conduire. Dans ces pages, ce furent une peinture, une photographie, quelques rencontres passagères, une lecture parfois, la source de la rêverie.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40694
Le livre dont j'écris ici les premières lignes, j'aimerais qu'il devienne quelque chose comme une mémoire - donc une fiction - rêveuse, qu'il soit une traversée d'images, de souvenirs, d'instants, qu'il ressemble à la rêverie à laquelle s'abandonne le dormeur éveillé, avant que l'excès de clarté n'y mette fin. Il sera bien temps alors d'affronter le jour.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40695
Ce qu'il y a de plus horrible dans la vieillesse, c'est que les femmes ne s'intéressent plus à vous alors qu'elles vous intéressent encore.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40696
L'enfant silencieux que j'ai longtemps été, l'enfant sage, légèrement renfermé, disait-on, qui sera tout disposé plus tard à se croire incompris, mal aimé, n'a pas rencontré sur son chemin quelqu'un avec qui partager ses secrets et qui aurait su l'en délivrer : des secrets ignorés de lui-même.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40697
On a quelque peu oublié aujourd'hui, où il convient de célébrer le désir ("ne pas céder sur son désir", disait Lacan qui effectivement ne céda pas), l'importance qu'accorde Freud à l'idée de renoncement. Renoncer à obtenir tout immédiatement, consentir à cesser d'être His Majesty the Baby, renoncer à conquérir et à posséder la mère, à supprimer père et frères, reconnaître notre finitude, admettre que nous ne sommes pas immortels et que nous ne sommes ni le centre du monde ni le centre de nous-mêmes, découvrir à nos dépens les limites de notre pensée... La liste est longue e il ne nous plaît pas de voir dans notre vie une succession de renoncements. Telle est pourtant la condition pour que cette vie invente et s'invente, soit toujours en mouvement au lieu de rester à jamais fixée à ses premières attentes, à ses premiers objets d'amour et de haine.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40698
Nos humeurs changeantes seraient-elles, elles aussi, soumises à l’influence de la lune ? Il ne me déplait pas d’être un lunatique, de connaître les plaisirs minuscules que m’offre la marée basse pour éprouver quelques heures plus tard les plaisirs majuscules que me procure la marée haute. La vie s’éloigne, mais elle revient.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40699
Deux femmes dans un café parlent d'une amie commune. "Comment l'as-tu trouvée? - Pas bien du tout. - La pauvre! - Que veux-tu, elle ne sait pas gérer son deuil." Le deuil, la mort de l'homme que cette femme aimait, objet d'une bonne ou mauvaise gestion! Gérer son budget, gérer son temps, gérer son énergie, gérer son angoisse et même, un comble! gérer ses passions... Voici que le vocabulaire marchand gagne ce qu'il y a en nous de plus intime, de plus obscur. J'ai honte pour ces deux femmes qui ignorent qu'on peut être fou de douleur et qui "gèrent" à petites gorgées leur apéritif du soir.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40710
Nous n’aspirons pas à l’éternité, sinon à celle de l’instant. Nous ne souhaitons pas être immortels mais nous avons la capacité d’être atemporels pour peu que demeurent présents en nous tous les âges de la vie et que nous nous refusions – je renouvelle un vœu formulé tout au long de ce livre en doutant qu’il ait la moindre chance d’être exaucé – à découper le temps. Comme souvent c’est un enfant qui pose la question toute simple – et pourtant elle suscite en moi un léger vertige : « Est-ce qu’aujourd’hui sera hier, demain ? »

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40711
UN GROS CHAGRIN Un mot désuet. Je crois bien ne l'avoir jamais entendu sortir de la bouche de mes patients. Trop imprégné du temps de l'enfance? On ne l'avouait pas alors, son chagrin, et même on pouvait le nier quand notre mère, croyant nous deviner - elle se trompait parfois et nous ne voulions pas être consolés de ce qui nous appartenait en propre - , se penchait vers nous avec sollicitude: " Oh, le gros chagrin!" Qui ose aujourd'hui parler de chagrin d'amour? Plutôt dire, pour atténuer le choc, "déception amoureuse", quand ce n'est pas, chez ceux qui croient que les mots de la psychanalyse vont plus profond, "angoisse de la séparation", "travail de deuil", "perte d'objet". Si, pourtant, je l'ai entendu prononcer une fois, ce mot "chagrin", par un homme qui venait d'être chassé sans ménagement par sa compagne. Un vieil homme. C'est peut-être pourquoi il n'avait pas honte de dire ce mot venu de l'enfance. Quand je lui demandai ce qui l'amenait à venir me voir, sa réponse fut: "J'ai du chagrin, je suis dans la peine." Je n'ai pas oublié ce "dans". En prison, avec pour unique compagnon de cellule son chagrin. Son chagrin d'enfant abandonné - qu'on ne compte pas sur lui pour gémir! -, son chagrin de vieil homme qui redoute de voir sa vie se réduire comme une peau de chagrin et de mourir seul au monde.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40712
Le rêve : un rébus, une écriture en images.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40713
Chaque année passée au lycée comme élève, j'eus un "meilleur ami", celui qu'on raccompagne chez lui et qui vous raccompagne à son tour, dans une succession d'allers et retours, comme si on ne devait jamais se quitter, et pourtant, on se quitte l'année suivante. [...] Ces amitiés d'une année se nouaient et se dénouaient pour ainsi dire toutes seules, aussi soudaines et imprévisibles dans leur naissance que dans leur effacement.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40714
L'insomnie, cette impitoyable lucidité nue, m'est plus redoutable que le cauchemar.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40715
D'où vient que nous élisions certains mots ? Qu'il y en ait à nos yeux d'aimables ou de détestables alors que d'autres ne nous disent rien, et qu'il en existe de si lourds qu'il nous paraisse urgent de nous en délivrer ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40716
L'oubli est nécessaire pour donner de l'épaisseur au temps, pour accéder au temps sensible.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40717
Aucun jeu, jamais, n'est parvenu à prendre le dessus sur le plaisir que me donne la lecture de romans, de nouvelles, pour peu que, d'une manière ou d'une autre, ils racontent une histoire dont à la fois je redoute et suis impatient de connaitre la fin. Privé de la lecture, je serais réduit à n'être que ce que je suis. Je ne crois pas pourtant qu'elle me tienne lieu de "vraie vie", ni qu'elle me permette de vivre par procuration des vies imaginaires ou de confondre la mienne avec un roman. Non, plus simplement, plus efficacement, elle me détache de mes points fixes, elle me libère de la pensée affligeante que ma vie pourrait n'être qu'une succession de jours dont l'un répète, ou, pire, efface l'autre. Elle m'entraîne là où je ne suis pas et pourtant, puisqu'elle m'y entraîne, c'est que j'y suis ! La lecture est mon grand jeu.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'enfant des limbes)


#40718
Qu'ai-je connu d'elle ? Qu'a-t-elle connu de moi ? Presque rien. Ma très vieille mère, devenue si éloignée du monde, aurait-elle obtenu de mes amis qu'ils " cessent de vivre" afin qu'elle et moi ayons enfin quelque chose en partage : la solitude, la solitude qui ne se partage pas ?

Jean-Bertrand Pontalis
(L'enfant des limbes)


#40719
Maitre Charles Vignon maîtrise ses dossiers, il maîtrise le langage - ses confrères envient son éloquence -, il s'emploie à se maîtriser lui même. Tout est sous contrôle. Et voilà que, la nuit, rien ne va plus. L'impeccable logique des arguments déraille. Ce qui paraissait si solide vacille, la mesure cède la place à la démesure, c'est la tourmente. Mer en furie, tempêtes, le terre tremble, le sol se dérobe, se fissure, se fracture. Et lui est condamné à marcher sans savoir où ses pas le mènent. Sa montre bracelet est arrêtée. Il est un enfant perdu, égaré, qui continue à marcher, encore et encore, pour ne pas s'effondrer.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40720
Douceur des larmes qui consolent et parviennent à émouvoir ceux qui en sont témoins et pour un peu les partageraient.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40721
Entre la précision du regard, qui ne va pas sans cruauté, et le flou qui, effaçant les contours, risque de me dissoudre, je ne veux pas choisir. Il me faut l'alternance. Il me faut Piero della francesca et Turner. Il me faut des formes géométriques et les nuages, les brumes qui recouvrent les cimes des arbres à l'automne et les lignes nettes, les esquisses des peintres et les corps accomplis des sculpteurs. Je veux séjourner dans le lieu indéterminé des limbes mais je me refuse à y demeurer. J'aime trouver les mots justes et être capable de bafouiller. J'aime les pensées vagues et le cohérence du discours, le mutisme de l'accusé et l'éloquence de l'avocat, l'heure d'entre chien et loup et les trains qui partent à la minute près.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'enfant des limbes)


#40722
L'homme qui dort se nomme Constantin. C'est un Empereur romain, un conquérant, un guerrier sans merci. Son sommeil paraît paisible, bien qu'il doive livrer bataille le lendemain.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40723
Comme souvent c'est un enfant qui pose la question toute simple - et pourtant elle suscite en moi un léger vertige : " Est-ce qu'aujourd'hui sera hier, demain ?".

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40724
L'absence de désir est bien pire que tout renoncement.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40725
L'enfance...c'était le temps où, le plus souvent silencieux, nous ressentions, observions sans l'écran du savoir et des mots, où tous nos sens étaient en éveil, où nous étions sensuels et visionnaires, où nous inventions le monde.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40726
Un enfant s'ennuie: c'est qu'il a cessé de croire aux pouvoirs de l'illusion. Subitement il cesse de jouer. Il n'ira pas pour autant faire les devoirs qu'exige l'école. Non, rien nez l'attire. Il préfigure l'homme désœuvré.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40727
Très vite - l'expérience sert à quelque chose - j'ai appris à distinguer les femmes séduisantes des ouvertement séductrices. J'ai su déceler la flatterie qui cache mal l'envie haineuse, me tenir à l'écart des "allumeuses" qui se dérobent dès que le feu qu'elles ont déclenché risque de prendre. Ce doît être ces sirènes-là, les trompeuses, qui m'ont conduit à me défier des apparences et à rêver de femmes que je trouverais "naturelles". Elles n'auraient pas besoin, elles, de recourir à quelque mascarade. Des femmes tout simplement heureuses d'être des femmes, différentes des hommes et chacune différente d'une autre et d'autant plus aimables qu'elles ne cherchent pas à être aimées ou à plaire à tout prix. Il en existe, surement.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40728
L'attention que je porte à l'orthographe, à la syntaxe - au point que si je rencontre à chaque page des fautes dans un manuscrit, je m'en détourne aussitôt -, je n'y vois pas une survivance scolaire. Cela concerne la justesse du mot qui est aussi rendre justice à ce qui est nommé, au corps des choses, à leur chair. Pour un peu, j'assimilerais une faute d'orthographe à la mutilation d'un corps, d'un visage, d'un arbre, d'une fleur. Pour un peu, j'y verrais un attentat, un crime, un sacrilège! Me déprendrai-je jamais qu'à défaut d'être la chose même, les mots du moins n'ont pas le droit de lui faire injure?

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40729
Eros, petit dieu diabolique, a trompé Narcisse, en lui faisant croire qu'on pouvait s'aimer, soi, alors que l'amour est ce qui porte hors de soi.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40730
Et maintenant, c’est maintenant. Et maintenant, c’est aujourd’hui, hier et demain. Nous autres, humains, nous ressentons et croyons que le temps passe, nous prétendons qu’il s’écoule et, plus nous vieillissons, qu’il s’écoule trop vite. Mais le Temps (avec une majuscule) ignore qu’il passe, il est immobile, il n’a pas d’âge. J’ai comme chacun de nous tous les âges si je cesse de découper le Temps.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40731
Toujours, j'aurai cherché un subtil équilibre entre le temps qui passe et celui qui ne passe pas. Mieux qu'un équilibre : leur ajointement, leur fusion même, qui se nomme instants de bonheur, cette permanence de l'éphémère qui vient parfois, inespérée, à notre rencontre. Moments de détresse aussi bien, quand le sol cédant sous nos pieds, nous perdons tout recours et qu'il n'y a plus pour nous ni passé ni présent ni futur : nous tombons hors du temps, nous tombons sur place.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'enfant des limbes)


#40732
Le psychanalyste est à l'affût de traces. Non, pas à l'affût, il ne les guette pas comme le chasseur, d'abord parce que, s'il chasse, c'est dans le noir, et surtout parce que ces traces, il les découvre là où ni lui ni son patient ne les attendaient. Il ne fait guère confiance aux souvenirs racontés, évoqués, tant ceux-ci sont transformés, déformés comme l'est tout récit. Pour preuve, ils donnent lieu à des versions différentes comme autant de traductions. Freud va même jusqu'à écrire dans son texte sur les souvenirs-écrans qu'il n'existe pas à proprement parler de souvenirs d'enfance, mais seulement des souvenirs se rapportant à l'enfance. Cette affirmation nous blesse, tant nous les chérissons, nos souvenirs de ce temps-là; qu'ils soient heureux ou malheureux, qu'ils témoignent de nos exploits ou de nos hontes, nous croyons dur comme fer à leur vérité. Eh bien, non, ce sont des fictions. Fictions comme l'autobiographie, nos confessions, toujours plus ou moins complaisantes, comme nos journaux dits intimes qui n'ignorent pas l'autocensure. Fiction, ce que nous croyons être notre mémoire.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40733
Il y a bien des façons de passer à l'acte. Se taire en est une.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40734
Il arrive que l'amitié, aussi, plus que l'amour, soit une demeure.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40735
Je me refuse à séparer le jour et la nuit. La nuit n'est pas ténèbres et nos jours ne sont pas lumineux.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40736
De celui qui déclare d'un ton péremptoire: "Moi, je pense que...", vous pouvez être certain 1. qu'il ne pense pas, 2. qu'il revendique un jugement qui lui serait propre alors qu'il exprime l'opinion la plus commune dont il se fait l'écho à son insu, 3. qu'il est si peu assuré de son existence qu'il met en avant Moi et, pour faire bonne mesure, l'accole à Je. Il n'y a pas plus vantard, plus inconsistant et plus conformiste que cet homme-là.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40737
Les signes du désamour sont plus visibles que ceux de l’amour

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40738
Nombreuses sont les nuits où nous rêvons de nos morts. Est-ce nous qui les invitons, ces visiteurs nocturnes, rendus par la vision du rêve souvent plus présents, plus proches qu'ils ne l'ont jamais été ? Ou bien viennent-ils en intrus nous importuner pour nous intimer l'ordre de ne pas les laisser tomber dans l'oubli, pour nous interdire de les croire désormais enfermés dans le mutisme de leurs tombes ? Revenants accusateurs, ils n'iraient vers nous que pour nous reprocher de les avoir mal aimés, mal traités, jusqu'à les abandonner à la mort, nous les survivants, les infidèles et même jusqu'à les faire mourir, nous, les criminels.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40739
Chacun de nous a son idée pour expliquer et même pour justifier qu'il est fait comme il es fait.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40740
Songes, rêves et rêveries dont naissent littérature, art et musique, si nous vous aimons à ce point, serait-ce parce que vous nous offrez une vie seconde et nous donnez pour un temps l'illusion de nous délivrer de la mort?

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40741
Pour vivre et nous croire libres, il nous faut plusieurs espaces.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40742
Mais il arrive que je me sente en subtil accord avec cet univers à l'état réduit, que je lui trouve une pure qualité esthétique, sans empâtement de chair, sans rien de trop. S'il y avait là un érotisme de l'apparence! Me voici séduit: nous sommes de belles machines autorégulantes, nous sommes fonctionnals et vigilants. Dissoutes les humeurs, apaisés les troubles et remous d'origine inconnue. Quel repos délicieux! Mais cette conversion n'est pas faite pour durer, elle me lasse, j'ai envie de gestes inutiles et surtout maladroits, j'aspire à des temps morts, à des échanges futiles, à des jeux sans règles. C'est dans l'indéterminé que je me retrouve.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40743
Calypso, l'amante. Elle a sauvé Ulysse, elle le tient captif dans sa grotte, tous deux vivent et s'aiment hors du monde, hors du temps; à ce mortel qui a échappé de peu à la mort, elle propose rien de moins que l'immortalité. Ulysse refuse de devenir immortel. Il est un homme, il sait qupour vi il ne oais lIl t perduet s

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40744
Le rêve est une hallucination qui ne rend pas fou.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40745
L'eau à Venise est souveraine. Son ciel quand il vient d'être lavé par la pluie est d'une luminosité incomparable : un ciel d'eau pure. Venise, une cité conquise sur la mer, née d'elle. Je me souviens d'y avoir accédé par bateau, venant de Grèce; une émotion intense m'a saisi, accompagnée d'une étrange fierté comme si la Dogana m'accordait une faveur particulière en m'ouvrant le passage. Venise féminine, Venezia toujours au féminin. En moi cette peur que ses milliers de visiteurs n'en viennent à la souiller.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40746
Pourquoi certaines de nos amitiés qui n'avaient pourtant rien de superficiel et qu'on avait les meilleures raisons de croire durables se sont-elles dissoutes ? Pas de fâcheries, pas de conflit, pas d'événement marquant qui puisse expliquer leur dissolution. Non, un détachement progressif, une lente séparation, un effacement qui ne résulte d'aucune décision. Simplement, des semaines ont passé, des mois, une année, sans que de part et d'autre on ait songé à se faire signe, à prendre des nouvelles. Quelque chose s'est dissous d'une manière à peine perceptible, sans éclat, en douceur. En douceur comme nous aimerions disparaître.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40747
CONTRE-TRANSFERT Ensemble des réactions inconscientes de l'analyste à la personne de l'analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci. C'est en de très rares passages que Freud fait allusion à ce qu'il a nommé contre-transfert. Il y voit le résultat de " l'influence du malade sur les sentiments inconscients du médecin " et souligne qu' " aucun analyste ne va plus loin que ses propres complexes et résistances internes ne le lui permettent ".

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40752
Qu'attendent-ils, ceux-là ? La mort de leur analyste en s'épargnant d'avoir à le tuer ? À tout prendre, mieux vaut le fatiguer ou le faire mourir d'ennui. Mais le souhait non formulé est sans doute celui-ci : trouver le moyen de mourir ensemble, au même instant, l'un dans son fauteuil, l'autre sur le divan.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40753
J'ai décidé de me séparer de ce qui fut longtemps - vingt-cinq années- une part de ma vie. Chaque fois qu'on se sépare -d'un lieu, d'une femme, d'un livre après sa publication-, on se sépare de soi-même.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40754
Les mots ombres portées exercent depuis longtemps sur moi un pouvoir d'attraction comparable à celui que j'ai pu ressentir avec les mots limbes et clairière. Les mots et ce qu'ils désignent. Les limbes ce lieu sans contours précis, situé entre les ténèbres de l'Enfer et la lumière radieuse du Paradis; la clairière qui s'ouvre, aussi inattendue qu'espérée, au creux de la forêt si dense et si sombre que je crains de m'y perdre avant que la clairière et ses rais de lumière ne dissipent l'angoisse naissante.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40755
Nous n'avons plus affaire, dans le cas du meurtre, au retour ponctuel d'un élément refoulé - ce passager clandestin qui parvient à franchir la frontière - , mais à un retour en masse qui va au-delà du refoulement. Il ne s'agit pas, comme on le dit souvent, d'un fantasme qui demanderait à être réalisé. C'est un moment hallucinatoire. L'hallucination est plus forte que la perception. Je crois qu'à l'instant du meurtre la plupart des criminels sonthallucinés et que ce n'est pas seulement pour leur défense qu'une fois redevenus conscients ils affirment: "J'ai été pris d'un coup de folie." L'impératif "Tu ne tueras point" se transforme en son contraire, tout aussi impératif "Tu dois tuer". Et alors, c'est le déchaînement, un déchaînement qui brise les barrières, les digues, comme un cataclysme naturel, qui transgresse tout interdit, viole, fracasse, mutile le corps et, à l'extrême, le dépèce ou le dévore... Le réel, pour le meurtrier halluciné, c'est le corps. Dans quelles chaînes étaient-ils donc enserrés, ces déchaînés? Chaînes sociales, chaînes d'un langage qui leur était devenu étranger au point de les persécuter? Et alors survient l'explosion, leur corps explose dans le moment même où ils s'en prennent au corps de leur victime. Leur corps se déchaîne et devient fou: "J'aurais ta peau. Je t'arracherai les yeux." Le crime commis par les soeurs Papin est exemplaire.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40756
Je revendique pour tout un chacun non le refuge dans l'ininterprétable, mais un territoire, aux frontières mouvantes, de l'ininterprété.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40757
Je tiens pour suspecte une pensée qui, tout en s’en défendant, a réponse à tout et tient à l’écart sa propre incertitude.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40758
Caspar David Friedrich (peintre) Que regardent-ils, cet homme vêtu de noir, ce moine face à la mer ou cet homme et cette femme embarqués sur un voilier qui les emportera ailleurs, un ailleurs qu'ils ignorent mais auquel ils aspirent tout comme cette jeune femme face à une fenêtre ouverte ? Ils nous tournent le dos et nous, spectateurs des tableaux sommes appelés à voir ce qu'ils regardent . Non, ils ne regardent pas, ils contemplent, et ce par là même nous invitent à la contemplation : "Ferme l'œil de ton corps pour d'abord voir ton tableau avec l'œil de l'esprit".

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40759
On dit que le rêve est un enfant de la nuit. Il est l'enfant de la nuit des temps.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40760
L'origine est un "avant" qui n'aurait pas "d'avant" et engendrerait (j'emploie ce mot à dessein) une succession "d'après".

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40763
Chercher à avoir raison, c'est vouloir avoir raison de l'autre, c'est l'arraisonner : qu'il soit immobilisé, pétrifié, qu'il reste sans voix devant la puissance de votre argumentation, qu'il soit empêché, comme un bateau arraisonné, de poursuivre sa propre traversée, incertaine. Je ne récuse pas les théories. Je préfère naviguer dans leurs marges.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40764
Ce qui nous attire dans l'enfance vient aussi de là: c'était le temps où, le plus souvent silencieux, nous ressentions, observions sans l'écran du savoir et des mots, où tous nos sens étaient en éveil, où nous étions sensuels et visionnaires, où nous inventions le monde.

Jean-Bertrand Pontalis
(Source inconnue)


#40765
Il nous faut croiser bien des revenants, dissoudre bien des fantômes, converser avec bien des morts, donner la parole à bien des muets, à commencer par l'infans que nous sommes encore, nous devons traverser bien des ombres pour enfin, peut-être, trouver une identité qui, si vacillante soit-elle, tienne et nous tienne. La vie est inquiète. La vie et la mort sont inconcevables.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40766
Si nous comprenions le monde, nous n'en ferions pas partie, nous qui sommes incapables de nous comprendre.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40767
La caducité suscite deux sentiments opposés : celui de la disparition de toutes choses, inéluctable et déjà en train d'opérer, celui du miracle, de la grâce de ce qui apparaît. Cette conjonction de deux sentiments – l'attraction vers la mort et l'attrait de ce qui se présente là, offert pour un instant, précieux : l'éphémère – suscite aussi bien la mélancolie que l'allégresse, une allégresse d'autant plus vive qu'on en mesure la fragilité.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40768
L'« à-quoi-bon » que chacun connaît un jour ou l'autre quand il se demande ce qui le fait courir, s'affairer ou écrire, n'est que peu de chose, juste un signe de lassitude, de fléchissement, par rapport aux ravages que produit la pulsion de mort quand elle se donne libre cours.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40769
Non, décidément, un livre ne se fabrique pas. Il est écrit, il avance tel un aveugle qui palpe les murs et les objets invisibles autour de lui. Nous n'exigeons pas d'un écrivain qu'il soit fou, seulement déboussolé. Nous souhaitons rencontrer un aveugle qui nous fasse, pour un temps du moins, visionnaire.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40770
Aux amis, ne serait-ce que par peur de nous blesser mutuellement et de mettre en péril notre amitié, nous sommes loin de tout dire. Une certaine réserve s'impose.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40771
Les îles aujourd'hui m'attirent : elles satisfont mieux que mes plages d'autrefois mon désir de rivage. Surtout, ces îles dont les deux côtes contrastent : la côte dite "sauvage", avec ses falaises et ses amoncellements de rochers prêts à s'ébouler, et l'autre la "civilisée", tournée vers le continent, bordée de petites dunes, douces comme la peau d'une femme.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40772
Chaque fois que je passe quelques jours à Venise, mes pas me conduisent volontairement ou non le long des Fondations Nuove d'où l'on peut voir l'Isola San Michele. Le jour où j'ai pris le vaporetto qui mène à ce cimetière, j'ai croisé en y débarquant Claude Roy qui en sortait. Claude est mort peu de temps après et je suis encore là... Soudain je pense à mon père dont les camarades durant la Grande Guerre tombaient sous les éclats d'obus les uns après les autres. Tous, disait mon père, se demandaient : "A qui le tour? Quand viendra le mien?" Cette question, je ne suis assurément pas le seul à me la poser. Nous tenons toujours la mort pour un obus ennemi qui nous tombe dessus.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40773
Dans la littérature, les exemples de cette disparité et de cette attraction réciproque abondent. Le premier qui me vient à l'esprit est celui de l'admirable récit de Fred Uhlman - l'Ami retrouvé- et de ses premières lignes: " il entra dans ma vie en février 1932 pour n'en jamais sortir [...] Je puis me rappeler le jour et l'heure où, pour la première fois, mon regard se posa sur ce garçon qui allait devenir la source de mon plus grand bonheur et de mon plus grand désespoir". Oui, l'amitié, elle aussi, connaît ses coups de foudre. (p.120)

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40774
L'oeil de l'esprit est absent des "foires". Il va de pair avec la solitude, le silence. Il est associal comme le rêve, comme le geste du peintre, et comme nous durant le temps de la lecture, cette parenthèse heureuse où nous oublions l'heure. Cet oeil là nous invite à regarder ailleurs.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40775
Ce monde que nous n'avons pas créé, il ne nous reste qu'à le contempler pour tenter de nous unir à lui dans sa radicale étrangeté

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40776
Et maintenant, c’est maintenant. Et maintenant, c’est aujourd’hui, hier et demain. Nous autres, humains, nous ressentons et croyons que le temps passe, nous prétendons qu’il s’écoule trop vite. Mais le Temps (avec une majuscule) ignore qu’il passe, il est immobile, il n’a pas d’âge. J’ai comme chacun de nous tous les âges si je cesse de découper le Temps.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40777
L'ami n'est pas un alter ego, un autre moi-même. Je le veux autre que moi, il m'attire comme étant différent, pas trop quand-même, pas trop "autre" comme peut l'être l'autre sexe.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40778
Dans l'amitié, ne serait-ce pas cela aussi que nous cherchons et qu'il nous arrive de trouver? Un moyen de nous soustraire à la violence anonyme du monde dit extérieur et aux tourments du monde dit interne.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40779
... J'ai cru ce jour là, cette nuit là, que les hommes et les femmes ne souhaitent qu'une chose : s'unir. Je me refuse à penser que ce moment de grâce soit éphémère, je le voudrais intemporel. Pour un peu j'aurais fait l'éloge de l'accord parfait, de l'harmonie. Le happy-end, je le sais, c'est tout juste bon pour les romans à l'eau de rose comme ceux que publie Harlequin, ou comme les films sentimentaux qu'aimait tant la petite Alice. Peu importe, c'est ainsi que je souhaite mettre fin à ce livre que je dédie à elle, au singulier.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40780
Pour conclure ces mots de Friedrich que ne désavouerait pas Jean Clair : " Les salles de musées sont à présent considérées comme des foires où, en passant, on juge et on blâme des marchandises nouvelles ; alors qu'elles devraient être des temples".

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40789
Oublions le cliché qui prétend que les amoureux sont seuls au monde. C'est l'inverse le vrai. Les amants rejoignent le monde, communiquent et veulent communier avec lui. Une fois les barrières, externes, internes, franchies comme autant d'obstacles, qu'importe si les hommes s'appellent arbres, fleurs, animaux ou même humains! Il faut avoir connu l'autre monde des amants pour en venir à supporter et peut-être même à aimer le monde tel qu'il est.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40790
Comment nous y prenons nous pour tenir notre mort à la fois pour certaine et improbable?

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40791
Même quand nous sommes convaincus que c'est l'autre, la radicalement "autre" qui nous attire chez cette femme, n'est ce pas une autre part de nous même, celle que nous refusons en nous, celle à laquelle nous n'avons pas accès, qui nous fascine et nous aimante?

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40792
Ce qui nous attire dans [notre]enfance (...) vient aussi de là : c'était le temps où le plus souvent silencieux, nous ressentions, observions sans l'écran du savoir et des mots, où tous nos sens étaient en éveil, où nous étions sensuels et visionnaires, où nous inventions le monde (p. 104)

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40793
Julien se demande ce que c'est qu'une vie. Peut-être Est-ce seulement quand on la raconte qu'elle prend un sens, acquiert une unité ? Peut-être en faut-il plusieurs pour qu'on au bout du compte il y en ait une ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Un homme disparaît)


#40794
Je ne raconterai pas une vie. Je n'ai aucune idée de ce que peut bien être une vie, la mienne ou de qui que ce soit. Ce seront des fragments, ce ne pourra être que cela.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un homme disparaît)


#40795
Il ne me déplait pas d'être un lunatique, de connaître les plaisirs minuscules que m'offre la marée basse pour éprouver quelques heures plus tard les plaisirs majuscules que me procure la marée haute. la vie s'éloigne, mais elle revient.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40796
Perversion/sublimation. L. se présente comme étant un artiste, il est reconnu comme tel. Le même L. se désigne comme étant un pervers. C'est un peintre qui représente des corps. Il ne les défigure pas, il respecte leur forme, il leur donne des couleurs lumineuses. Et, en même temps, subtilement, il les met en pièces. Un corps n'est plus alors qu'un assemblage de morceaux épars, une manière de collage ; la chair ne l'intéresse pas, ni celle des humains ni celle des objets (les objets aussi ont une chair ; voir les « Natures » improprement appelées « mortes »). D'ailleurs L. ne fait pas de différence entre un corps humain et un objet. Il a une grosse cote sur le marché de l'art. Des musées ont acheté ses toiles. Sublimation ? Si on accepte la définition d'usage : « dérivation des pulsions vers des buts socialement valorisés », etc. L. traite la femme qu'il « baise » - il ne dit pas : avec qui il fait l'amour -, et qui se prête au jeu, comme un agrégat d'organes. La femme toute entière, divisée, parcellisée est un organe sexuel. Le faire jouir, cet organe, par tous les moyens, le faire jouir, toujours plus fort, sans limites. Pulsion d'emprise proche d'un désir d'anéantissement de ce qui pourrait s'appeler un sujet. Perversion ? Là aussi si on accepte la définition d'usage : « Primat des pulsions partielles, au lieu du primat de l'organisation génitale », etc. Organisation : soumission à la forme, son unité. L'enfant pervers polymorphe. L'adulte qui tient à tout prix à faire preuve de sa normalité (le « normopathe » selon Joyce McDougall) serait-il un pervers polymorphe … et plutôt triste ? Sublimerions-nous dès l'origine ? Serions-nous tous des pervers plus ou moins contrôlés, plus ou moins amortis, nous efforçant de donner congé à l'enfant sauvage, ne lui permettant de se manifester que dans nos rêves ?

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40797
La mémoire est notre relief et la plus pauvre n'est jamais tout à fait plate.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40798
J'ai envie de gestes inutiles et surtout maladroits, j'aspire à des temps morts, à des échanges futiles, à des jeux sans règle. C'est dans l'indéterminé que je me retrouve.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40799
Je m'aperçois que ceux que j'évoque ici ont en commun de m'avoir enseigné quelque chose. Aujourd'hui, le temps des professeurs étant depuis longtemps révolu, je crois bien que ce sont mes patients qui sont devenus mes éducateurs quand il se fient comme moi à la psychanalyse, malgré tout. Autres figures plus intimes: ma femme, mes enfants, quelques amis qui, jour après jour, réveillent mon goût de vivre quand il tend à faiblir. (p. 134)

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40800
une pensée ne saurait être que libre,ou plutôt n’obéir qu'à sa propre contrainte ,qu'à sa propre nécessité intérieure ,elle est par nature opposée à l'endoctrinement comme l'est,comme devrait l'être,la littérature.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40801
COMPULSION, COMPULSIONNEL Dans le vocabulaire freudien, Zwang est utilisé pour désigner une force interne contraignante. Le plus souvent c'est dans le cadre de la névrose obsessionnelle qu'il est employé : il implique alors que le sujet se sent contraint par cette force d'agir, à penser de telle façon et lutte contre elle.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40802
COMPLAISANCE SOMATIQUE S'il est bien vrai que la notion de complaisance somatique déborde largement le champ de l'hystérie et qu'elle amène à poser dans sa généralité la question de pouvoir expressif du corps et de son aptitude particulière à signifier le refoulé, il y aurait intérêt à ne pas confondre d'emblée les différents registres où la question est présente.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40803
Le rêve est notre mémoire vive : temps perdu, temps retrouvé.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40804
Que le verbe se fasse chair est décidément la seule chose qui m'intéresse. Le mystère de l'incarnation n'est pas à mes yeux une affaire de religion mais d'esthétique.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40805
Bien embarrassé, écrit Pierre Larousse, celui qui, l’histoire en main, voudrait donner une définition du crime et chercher là-dessus le consensus des peuples, et il conclut l’article de son dictionnaire universel consacré au crime par ces lignes : « La philosophie moderne, appuyée par la raison et le bon sens arrivera, par la suite des temps et le progrès des Lumières, à faire mettre au nombre des plus grands attentats, ce que jusqu’à ce jour on a appelé conquêtes et gloire militaires. » De là la question : qu’appelle-t-on crimes de guerre si toute guerre est criminelle ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40806
Le « cas » Wolfson figure un moment particulier de la psychanalyse par rapport aux études sur les textes autobiographiques. La reprise d’éléments de la constellation intellectuelle de son époque permet de repenser les modes dans lesquels se lient épistémologiquement la psychopathologie et la psychanalyse, inspirant des pratiques cliniques innovantes.

Jean-Bertrand Pontalis
(Dossier Wolfson ou L'affaire du «Schizo et les langues»)


#40807
C'est là ne rien dire d'autre que de rappeler l'exigence méthodologique élémentaire qui est inhérente à toute discipline à prétention scientifique mettre à jour ses déterminations internes.

Jean-Bertrand Pontalis
(Après Freud)


#40808
Aimer bien ses patients : condition nécessaire pour moi. Je vois bien ce qu'on pourrait me rétorquer : ne serait-ce pas pour être payé de retour, une façon de m'assurer que je suis aimé par eux ? N'empêche : je ne conçois pas comment je pourrais leur consacrer tant de temps, d'attention, vouer une si grande part de ma vie à écouter leurs plaintes, à faire mien, sans m'y confondre ce que Lagache appelait leur "monde personnel", si je ne pensais pas à ce qui les entrave - symptômes, inhibitions, répétition, narcissisme à vif -, que ce qui les rend captifs de leur névrose recouvre ce que je ne peux me représenter autrement que comme mouvement vers, même si la finalité de ce mouvement est de détruire - soi ou l'objet. Un pari sur les forces de vie. Serais-je plus médecin que je ne le crois ? Un médecin qui ne serait pas soumis à l'exigence de "guérir" mais porté par un besoin plus fort que celui qui ne vise qu'à rendre la vie vivable, supportable (ce qui implique une grande part de résignation). Faire en sorte que l'autre se sente, se veuille vivant. Je ne sais pas trop ce que j'entends par là. Peu m'importe. La fameuse formule de Bichat : "La vie est l'ensemble des forces qui résistent à la mort." Juste mais un peu trop négative à mon goût. Alors, quoi ? L'"élan vital" de Bergson ? Un peu trop positif, cette fois. Freud, lui, a choisi un mot latin, libido, que n'ignoraient pas les Pères de l'Eglise : la libido peut se diriger vers les objets multiples, vers le savoir aussi bien que sur la vengeance, elle se déplace, elle ne tient pas en place, elle migre... Éros, plus civilisé et civilisateur, finalement, que libido, moins indomptable, moins sauvage, Éros qui vient aiguillonner, éveiller Psyché endormie. Éros est vif, joyeux. Libido, toxique, peut préférer la mort. Aimer bien ses patients : conditions pour que le goût de vivre leur revienne et que les choses trouvent leur saveur, pour qu'à tout le moins ce qu'un peintre épris de couleurs appelait une "cordialité pour le réel" l'emporte sur l'hostilité, le rejet. Aimer bien ses patients - pas trop, comme si ce trop était un mal, un amour destructeur pour soi comme pour l'autre. les aimer bien, différent de, et même opposé à, vouloir leur bien. Ne rien exiger, mais se fier à ce qu'il y a de vivant en chacun.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40812
Nous avons inventé les mots pour échapper à la loi de la pesanteur, pour retarder l'instant fatal de la chute.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40813
Ne parlons pas de voyage ou d'aventure, trop romanesques... Non, nous pressentons seulement, analyste et patient, qu'une traversée commence, la nôtre, sans trop savoir ce que l'embarcation transporte dans sa cale - trésors et explosifs -, sans disposer d'une table à cartes pour nous assurer que la route suivie est la meilleure, sans garantie que nous arriverons à bon port. Peut-on parler de «direction de la cure» quand on ne sait pas ce qui la dirige?

Jean-Bertrand Pontalis
(Ce temps qui ne passe pas - Le compartiment de chemin de fer)


#40814
Traversée pour aller vers quoi, aucune destination n'étant fixée, aucune «représentation-but» assignée et l'incertain trajet se décidant au fur et à mesure ? Si l'inconnu était moins derrière nous - l'insaisissable origine - que devant ? ce que nous ne connaissons pas encore, pour ne pas l'avoir éprouvé, pour ne pas l'avoir trouvé. Si ce que nous attendions secrètement d'une analyse, ce n'était pas qu'elle puisse nous faire naître - fantasme d'auto-engendrement - ou renaître - illusion d’un new beginning - mais qu'elle nous rende capables de nous inventer?

Jean-Bertrand Pontalis
(Ce temps qui ne passe pas - Le compartiment de chemin de fer)


#40815
C'est le lot de l'enfance d'être soumis aux commandements, aux interdits, à l'arbitraire.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40816
Comme on avait vite l'air d'un vieillard à l'époque! Comme on s'efforce de na pas l'être aujourd'hui afin d'échapper à la chaine du temps!

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40817
Il faut plusieurs lieux en soi pour garder quelque chance d'être soi.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40818
Je ne m’étais jamais soucié de ma santé ni de mon âge. Mais, depuis quelques temps, je me sentais fatigué, mes nuits étaient interrompues de brusques réveils - et dans ces heures-là la lucidité est féroce. Je m’assoupissais à l’aube, et ne sortais péniblement de ce demi-sommeil que pour maugréer contre l’absurdité du monde et l’inutilité de tout. J’écorchais les noms propres comme si celui de l’un se mêlait à celui de l’autre, les numéros de téléphone les plus familiers m’échappaient comme si le fil qui me reliait à mes amis pouvait à chaque instant se casser. J’avais souvent mal au dos, parfois des quintes de toux, bref je me sentais non pas vieux mais pire vieillissant, inexorablement vieillissant, et j’avais du mal à admettre ce constat d’une progressive défaillance du corps. Ce que je redoutais le plus, c’était de me trouver bientôt incapable d’être sensible à du nouveau, d’être marqué et modifié par de l’inattendu - ou alors ce ne serait qu’en des moments fugaces qui ne laisseraient aucune trace. Mon identité était acquise, je serais réduit à cela, à ce peu de chose qui ne cesserait plus de m’accompagner. De là devait venir ma morosité matinale : cette lassitude amère à me retrouver le même, jour après jour, alors que dans mes nuits riches d’apparitions, d’histoires, d’événements, mes nuits méchamment interrompues, j’avais été mille autres ! La seule idée que j’allais sous peu ressembler à ceux de mes amis plus âgés dont j’avais vu, année après année, les intérêts se rétrécir, l’existence se racornir, le retrait avaricieux sur eux-mêmes s’accentuer à leur insu, cette seule idée me révulsait. On aurait dit qu’ils anticipait un statut futur de momie enserrée dans ses bandelettes afin de s’épargner un processus de décomposition.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un homme disparaît)


#40819
CONFLIT PSYCHIQUE Si le conflit est indiscutablement une donnée majeure de l'expérience psychanalytique, s'il est relativement aisé de le décrire dans ses modalités cliniques, il est plus difficile d'en donner une théorie métapsychologique. Tout au long de l’œuvre freudienne, le problème du fondement dernier du conflit a reçu des solutions différentes.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40820
Notre commentaire a tenté,à propos des notions principales qu'il rencontrait, d'en lever ou tout au moins d'en éclairer les ambiguïtés, d'en expliciter éventuellement les contradictions; il est rare que celles-ci ne débouchent pas sur une problématique susceptible d'être retrouvée au niveau de l'expérience même.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40821
A ce Je insaisissable, toujours prêt à s’effacer, à s’évanouir, mais actif, à ce Je excentré – il n’est pas un centre mais une source – j’ai donné un nom, l’infans : à celui, à ce qui n’a pas de nom.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40822
Un rêve ne serait-il jamais qu'un auto-portrait, au-delà du miroir ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40823
Est ici analysé l'ensemble de l'appareil conceptuel de la psychanalyse : non pas tout ce qu'elle tente d'expliquer, mais tout ce qui lui sert à expliquer.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40824
Donner la mort, sans doute est-ce la manière la plus radicale de conjurer la mort que l'on sait inéluctable tout en ignorant le moment de sa survenue. La donner : la mort cesse alors d'être perçue comme une menace, ressentie comme une perte, un désastre, un châtiment injuste. Elle est un don que l'on fait à un être cher dont la souffrance est devenue intolérable (l'euthanasie serait un crime altruiste) ou que l'on s'accorde à soi-même (suicide, et bien des accidents, plus ou moins provoqués, qui sont autant de suicides camouflés). Le suicide relève d'une décision personnelle. J'en choisis le moment et la modalité - revolver, poison, défenestration. La mort n'est plus ce qui me tombe dessus, à son heure à elle. En un sens je deviens, en me donnant la mort, plus fort qu'elle. Je peux me croire son maître.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40825
La mémoire est trompeuse, il le sait, elle invente alors même qu'elle est convaincue de reproduire; la frontière entre l'imagination et la réalité est si ténue qu'elle en devient imperceptible et que lui, le romancier, se doit de l'ignorer.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40826
D'abord, j'y vivais hors de ma famille où, comme dans toute famille, régnait une loi secrète du silence. Non qu'on y fut particulièrement réservé - nous avions même nos volubiles- mais tout ce qui se transmet de fort chez les siens, tout ce qui les attache, les fixe les uns aux autres, la haine ou l'amour, la rancoeur, le malaise, ne peut se dire. Cela, un enfant le perçoit plus vivement qu'un adulte. Et réussirait-elle à s'avouer, toute cette passion, que l'effet, comme on le voit plus tard dans les couples avides de transparence, serait nul. Seul le non-dit cimente la vie des familles, une vie qui ne bouge pas.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40827
Je déteste la violence et voici que je m’apprête à écrire un livre sur le crime. Si je la déteste tant, cette irruption de la violence, c’est que je la redoute et tente de m’en protéger, tel un enfant qui, après que sa mère a bordé soigneusement son lit, se croit assuré d’être à l’abri du cauchemar.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40828
Avant, pour tout un chacun, c’est son enfance. Qu’on y voie le temps d’un vert paradis ou qu’on la dénigre comme Sartre dans Les Mots, qu’elle soit l’objet d’une nostalgie ou qu’on se réjouisse d’en être sorti, tel le prisonnier délivré de sa cellule, tant elle fut malheureuse, on ne se lasse pas de l’évoquer, cet âge-là, de s’en remémorer les moments précieux, comme s’il y avait en lui quelque chose d’inoubliable qui aurait façonné notre futur en y laissant à jamais sa marque.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40829
Aux origines, il y a en effet comme un rapport d'emboîtement réciproque entre psychanalyse et littérature. Souviens-toi : les histoires de cas des Études sur l'hystérie dont Freud s'inquiète qu'elles se "lisent comme des romans", le Projet de psychologie scientifique jeté sur le papier comme un poème dans la fièvre créatrice, un peu folle, que l'on sait, l'"analyse" avec Fliess sous forme de lettres échangées, les récits de rêves de la Traumdeutung avec ce qu'ils supposent de mise en écriture, Oedipe tragédie avant d'être complexe, Hamlet, la Gravida, l'identification à Goethe - Poésie et vérité -, à Moïse - les Tables de la Loi ... La recension serait infinie.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le laboratoire central : Entretiens, 1970-2012)


#40830
Car c'est bien là que réside le paradoxe du transfert : l'analyste est à la fois le transitaire et le destinataire.

Jean-Bertrand Pontalis
(La force d'attraction)


#40831
Le rêve ignore le néant.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40832
Mon hypothèse est que chaque rêve, en tant qu'objet de l'analyse, renvoie au corps maternel.

Jean-Bertrand Pontalis
(Entre le rêve et la douleur)


#40833
Femme phallique, mère phallique Femme fantasmatiquement pourvue d'un phallus. une telle image peut prendre deux formes principales selon que la femme est représentée soit comme porteuse d'un phallus externe ou d'un attribut phallique soit comme ayant conservé à l'intérieur d'elle-même le phallus masculin.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40834
Je ressemblais à ces touristes qui vont de site en site, d’un portail d’église à un château-fort sans quitter de leurs yeux leur guide bleu ou vert, cherchant à vérifier si ce qui est devant eux correspond bien à ce qui est inscrit dans le guide. Ils ne voient rien. Ils refusent de se laisser absorber, ne fût-ce que quelques instants, par ce qui est là, à portée de leur regard, offert. Ils font plus confiance au guide qu’à eux-mêmes, ils ne savent pas percevoir.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40835
Pour autant, pas question de le renier, ce pesant patronyme. C’eût été renier mon père dont le nom, lui, ne figure dans aucun dictionnaire, seulement, à jamais, dans ma mémoire. J’ai eu, tout au long de mon adolescence, à résoudre cette contradiction : être, j’y tenais par-dessus tout, le fils de mon père et n’être à aucun prix le descendant de sa famille. Sans doute pour garder toujours vivante en moi, et à moi seul, l’image – non, pas l’image : la présence, de ce père aimé-aimant, mort très jeune, me fallait-il fuir tous les membres d’une famille qui avait commis la faute impardonnable de n’être pas lui.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40836
p. 43 : L'analyse, le rêve, l'écriture : trois mouvements actifs qui me déprennent du moi-même. Le moi s'y perd, le je s'y trouve (...)

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40837
D'où vient que nous élisions certains mots ? Qu'il y en ait à nos yeux d'aimables ou de détestables alors que d'autres ne nous disent rien ou plus rien et qu'il en existe de si lourds qu'il nous paraisse urgent de nous en délivrer ? (p. 13) ... d'où ce livre sous forme de lexique

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40838
L'amitié est un abri qui protège de la douleur d'aimer.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40839
Que nous reste-t-il alors ? Une certaine confiance. Confiance en quoi ? en ceci : la traversée, si longue, si éprouvante, si périlleuse qu'elle puisse être, se fera. Traversée des apparences, passage des frontières, traversée du temps, traversée des lieux, des images, des événements du jour et de ces événements de la nuit que sont les rêves, déplacement des souvenirs et des figures imaginaires (en existe-t-il d'autres?), traversée surtout des transferts (deux mots qu'on pourrait tenir pour synonymes).

Jean-Bertrand Pontalis
(Ce temps qui ne passe pas - Le compartiment de chemin de fer)


#40840
Seule l'humeur vagabonde apporte du trouble dans nos vies. Les pierres, tout comme les morts, ignorent les humeurs.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40841
Il n'aime pas qu'on lui parle de ses racines. Je partage son aversion. C'est le monde entier qui est notre racine.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40842
L’analyse ne devrait-elle son efficacité qu’à un fondamental malentendu ?

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40843
et puis Eric est né...c'était la vie immédiate, faite de sensations avant que le langage ne leur ôte toute la fraicheur.

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40844
Le seul être qui vous tienne tout au long compagnie, c'est soi-même. Ce "soi-même" a beau changer, ne pas être le même, j'ai beau ne pas me reconnaître dans des photographies anciennes ou aujourd'hui dans le miroir de ma salle de bain (...), n'empêche que c'est toujours soi. A la longue, cette compagnie permanente devient lassante. Comment se fausser compagnie ? Se quitter sans pour autant se perdre tout à fait ?... Se déprendre de soi sans disparaître ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Le songe de Monomotapa)


#40845
C'est seulement quand on consent à s'approcher de ce creux, de ce silence, puis à s'enfoncer en lui au risque de frôler l'abîme, mais avec l'espoir d'y trouver une source souterraine, que toutes ces capacités ont une chance de se réaliser.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40846
Se séparer de soi-même sans s'effondrer, sans tomber dans un chaos où tout est confondu. C'est à quoi servent le rêve, la psychanalyse, la lecture, l'écriture, les voyages parfois, mais toujours moins qu'on ne l'espérait.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40847
Ce serait peut-être là ce que nous attendons de la littérature, qu'elle transforme l’extrême singularité de fait, mais sans jamais l'effacer, en l'accentuant plutôt, en quelque chose visant l'universel ou du moins capable de rejoindre l'autre dans sa propre singularité.

Jean-Bertrand Pontalis
(Un jour, le crime)


#40848
dans le court récit "Auprès de...", un homme va rendre visite à l'hôpital à des amis mais aussi à des simples connaissances .... à cause d'une culpabilité persistante...car il fut absent au moment de la mort son papa ..."Aujourd'hui, il s'interrogeait: Qu'est-ce que je vais donc chercher en allant m'approcher de ces malades ? je ne me sens pas pourtant une vocation d'infirmier ou de bonne soeur. ce n'est pas de la compassion, ce n'est pas de l'apitoiement que j'éprouve. alors quoi ? Est-ce que je redoute que personne ne soit à mes côtés quand mon heure viendra ? (p.38-39)

Jean-Bertrand Pontalis
(Marée basse marée haute)


#40853
Mais l'ombre portée, qu'étais-ce au juste ? J'avais beau consulter des dictionnaires, parcourir des ouvrages spécialisés, je ne parvenais pas à saisir en quoi cette ombre-là différait des autres ombres. L'alliance de ces deux mots me troublait.

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40854
Ma mère, cette inconnue. Entre elle et moi, le premier malentendu, le premier de mes rendez-vous manqués, à l’origine de tous les autres.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40855
Elle lui aura appris, pensera-t-il plus tard, que toute femme est insaisissable, alors même que les hommes se vantent de les “prendre” .

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40856
Pour certains – j’aimerais être du nombre – écrire a pour source l’insistant désir de faire parler l’infans afin de s’approcher au plus près de notre aphasie secrète.

Jean-Bertrand Pontalis
(Avant)


#40857
- Si ce n'est pas seulement une blessure d'orgueil, alors ce peut être de la souffrance, moins celle de la perte dont on finit par se consoler, que celle de l’abandon. Être laissé seul, soudainement, sur la rive, alors que la femme s'éloigne et disparait pour toujours sans se soucier le moins du monde du sort de celui qu'elle a planté là.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40858
Entendu une mère menacer sa ravissante petite fille qu'elle a dotée du prénom nervalien d'Aurélia : "Si tu bois un jus d'orange, tu auras la courante." Chute brutale et peut-être salutaire du gracieux au trivial, du haut vers le bas!

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des jours)


#40860
La présence de la mort à venir va de pair avec l'attrait pour la vie, avec l'inlassable curiosité qui anime l'enfant avide d'explorer ce qui l'entoure.

Jean-Bertrand Pontalis
(En marge des nuits)


#40861
Bien avant que la Terreur et sa paranoïa ne s'installent, la conviction que mon voisin était suspect, qu'il pourrait bien être mon ennemi, que mon "frère" complotait contre moi, derrière mon dos, cette conviction-là, avec les ravages qu'elle entraîne, serait-elle en germe dans toute société qui proclame, haut et fort n'avoir pour idéal que la fraternité?

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40862
L'énigme, à commencer par celle que propose le Sphinx à Oedipe, puis, des siècles plus tard, celle que le rêve offrit à Freud, s'adresse à une intelligence capable de trouver la solution, de déceler son sens caché. Le mystère, lui, n'est pas déchiffrable, il échappe au langage, il va de pair avec la révélation, avec le dévoilement.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40863
La plupart des oppositions canoniques, je les récuse. Folie/ Raison - il existe des folies raisonnantes et un noyau de vérité au coeur de tout délire. Civilisation/ Barbarie, comme si le XXème siècle et sans doute celui qui commence ne nous donnaient pas suffisament de preuves que la barbarie est dans la civilisation.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40864
Depuis, il se méfie des faux-jetons comme de la peste. Un de ses amis, d'origine étrangère, maniant la langue française à sa manière, dit "doubles jetons". Le cadet se méfie de ces êtres doubles qui changent de jeu, mais aucun n'est vrai.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40865
J'ai eu, tout au long de mon adolescence, à résoudre cette contradiction: êtr, j'y tenais par-dessus tout, le fils de mon père et n'être à aucun prix le descendant de sa famille. Sans doute pour garder toujours vivante en moi, et en moi seul, l'image - non, pas l'image: la présence - de ce père aimé-aimant, mort très jeune, me fallait-il fuir tous les membres d'une famille qui avait commis la faute impardonnable de n'être pas lui.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


#40866
Ce que je cherchais naguère dans la lecture et ce que je n'y trouve plus comme si elle ne pouvait plus m'emporter vers l'étranger, c'est dans et sur ce mérier qui tisse et détisse, délie et relie, que je le rencontre. Là est le lieu dit qui à la fois creuse et anime tous les autres.

Jean-Bertrand Pontalis
(L'amour des commencements)


#40867
Je m'en serai fait du cinéma !

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40868
Donald Winnicott n'a pas connu l'état de parent, il n'a pas eu à exercer ce que les psychanalystes se plaisent à nommer la "fonction paternelle" (comme si devenir père, être père, était une fonction !). N'ayant pas eu d'enfants, il a su, comme nul autre thérapeute, entre en relation avec les centaines d'enfants qu'il a reçus. Winnicott ou le docteur enfant.

Jean-Bertrand Pontalis
(Le Dormeur éveillé)


#40869
Dire comme Winnicott, même avec humour, qu'on peut être aussi créatif en faisant cuire des œufs sur le plat que Schumann composant une sonate, vous en trouvez pas ça un peu abusif ? Si j'exprime une émotion, je ne créé rien pour autant. Je crains que Winnicott ne soit là un peu dupe de son amour pour l'enfant (et la mère). Cela dit - et là encore je récuse le concept mais reconnais la chose -, en parlant de créativité Winnicott nous rappelle que le monde de nos perceptions est lettre morte tant qu'il n'est pas animé par un regard.

Jean-Bertrand Pontalis
(Perdre de vue)


#40870
Psychologie Magazine : Vous écrivez : “Se séparer de soi : tâche aussi douloureuse qu’inéluctable et même nécessaire pour qui ne consent pas à rester sur place et que porte le désir d’avancer, d’aller au-devant de ce qui, n’étant pas soi, a des chances d’être à venir.” Est-ce cela, changer vraiment ? J.-B. Pontalis : Oui, c’est aller hors de ce qui est connu de soi. C’est ce que j’ai toujours cherché. Avant de devenir psychanalyste, j’étais prof de philo. Un jour – j’avais 29 ans –, une élève d’hypokhâgne m’a dit : « Ils sont bien vos cours, mais on a l’impression que vous n’y croyez pas vraiment. » Sur le moment, ça ne m’a pas fait beaucoup d’effet, mais après j’ai réalisé qu’elle disait vrai : je maîtrisais le langage, le discours, mais je n’habitais pas mes mots. Il me fallait d’abord me dégager de mes maîtres, notamment de Sartre qui, quoique généreux, était si écrasant… En me séparant de Sartre, puis de Lacan, à chaque fois je me suis séparé, « dé-pris » de celui que j’étais à ce moment-là et des concepts qui me portaient alors – vous savez, on peut aussi se retrouver enfermé dans des concepts. Ç’a été long avant que je me reconnaisse vraiment dans ma parole, dans ce que j’écrivais. Ainsi y a-t-il pour chacun à se dégager des différentes identifications qui jalonnent sa vie. C’est cela, être vivant : essayer de ne pas rester figé dans un âge, dans une position, et aussi être capable de naviguer, de faire des allers-retours dans les différentes époques de sa vie : retrouver l’enfant en soi, sa part de féminité, sa révolte adolescente… Alors, tous les âges se télescopent, comme dans les rêves, où un élément de la veille et des souvenirs des toutes premières années se mélangent. L’important, c’est que ça bouge.

Jean-Bertrand Pontalis
(Source inconnue)


#40871
Le rêve, notre hystérie secrète ?

Jean-Bertrand Pontalis
(Traversée des ombres)


#40872
Nous avons connu, nous retrouvons parfois des émotions aussi intenses que celles que nous éprouvions, enfants, quand nous plongions, étendus sur le sol, sur un lit, dans un livre pour nous y perdre, oublier notre identité, notre présent, notre famille.

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40873
Sens ne s'oppose pas à non-sens. En se donnant du mal, en se 'cassant la tête' on finira bien par lui donner un sens à ce non-sens. Sens s'oppose à informe, à vide de sens. (p. 87)

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40874
Si nous comprenions le monde, nous n'en ferions pas partie, nous qui sommes incapables de nous comprendre. (p. 100)

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40875
La langue a son souffle propre, elle est mobile ; et, riche ou pauvre, elle peut tout dire ; elle est rencontre avec l'inattendu. Elle décontenance le concept (...) P. 19

Jean-Bertrand Pontalis
(Fenêtres)


#40876
Neutralité Une des qualités définissant l’attitude de l’analyste dans la cure. L’analyste doit être neutre quant aux valeurs religieuses, morales et sociales, c’est-à-dire ne pas diriger la cure en fonction d’un idéal quelconque et s’abstenir de tout conseil, neutre en regard des manifestations transférentielles, ce qu’on exprime habituellement par la formule « ne pas pénétrer dans le jeu du patient » ; neutre enfin quant au discours de l’analysé, c’est-à-dire ne pas privilégier a priori en fonction de préjugés théoriques, tel fragment ou tel type de significations.

Jean-Bertrand Pontalis
(Vocabulaire de la psychanalyse)


#40877
… les attentes de la femme, la attentes de l'homme ne coïncident pas et c'est justement parce qu'ils ne peuvent pas se rencontrer pleinement jusqu'à oublier leurs différences qu'ils s'attirent l'un l'autre. Ils ne peuvent pas communier, sauf dans l'intensité de la jouissance partagée. Après quoi, ils seront au mieux à côté l'un de l'autre ou dans un vis-à-vis qui les sépare, les désunit.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40878
Mais j’avais tort : la passion n’est pas un amour exacerbé, elle en diffère, elle en est même l’opposé. Elle exige la possession de l’autre tout en la sachant impossible et elle ignore qu’en retour elle fait de vous un possédé.

Jean-Bertrand Pontalis
(Elles)


#40879
Tout premier est jaloux du second, l'intrus. Le second est jaloux du premier arrivé. L'enfant unique pâtit d'être l'unique de sa mère. Dans une famille nombreuse, pas facile de trouver sa place. Il n'existe pas de bonne solution. Mais il y a pire encore: avoir été volé de son enfance.

Jean-Bertrand Pontalis
(Frère du précédent)


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Le contenu de cette page a été mis à jour pour la dernière fois le samedi 7 janvier 2023.
Il était alors 19:07:02 (Heure de Paris, France, planète Terre - Univers Connu).
mandarin : 你的预感 | français : Mon Ange | anglais : My angel | mandarin : 拉兰德 | espagnol : Una corazonada de ti | allemand : Neuigkeiten hinter der Scheibe. | anglais : To the wrath of the righteous | français : Une intuition de toi | français : Qui est Seth Messenger ? | mandarin : 正义的愤怒 | anglais : You would like to read more? | français : Mon nom est Pierre | français : Patience | anglais : A hunch of you | anglais : The Wait | allemand : Wer ist Seth Messenger? | allemand : Mein Engel | anglais : New beginning | allemand : Die Lande | espagnol : Mi nombre es Peter | allemand : Auf die Wut des Gerechten | espagnol : La Lande | français : Aux colères du juste | espagnol : ¿Quién es Seth Messenger? | anglais : My name is Pierre | mandarin : 来自玻璃后面的消息 | espagnol : Va a pasar cerca de ti. | français : Ca arrivera près de chez vous | espagnol : Nuevo comienzo | allemand : Neuer Anfang | anglais : Who is Seth Messenger? | mandarin : 耐心 | anglais : The Moor | allemand : Geduld | espagnol : Paciencia | anglais : It's going to happen near you | mandarin : 我的天使 | français : La Lande | espagnol : A la ira de los justos | mandarin : 我叫彼得 | espagnol : Noticias desde detrás del cristal | anglais : News from behind the glass | mandarin : 你想多读些吗? | allemand : Mein Name ist Pierre. | allemand : Möchten Sie mehr lesen? | français : Nouveau départ | espagnol : Mi ángel | français : Vous aimeriez en lire d'avantage ? | allemand : Es wird in Ihrer Nähe passieren. | mandarin : 赛斯信使是谁? | français : Des nouvelles de derrière la vitre | espagnol : ¿Le gustaría leer más? | allemand : Eine Ahnung von dir | mandarin : 它会发生在你附近。 | mandarin : 新开始 |
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