Seth Messenger : Citations de Christophe André

Christophe André a dit :

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Christophe André
(Citations)
#37466
Les états d’âme sont le cœur battant de notre lien au monde Ce n’est pas parce que c’est impalpable que ça n’existe pas. Ce n’est pas parce que c’est subtil que ça ne fait pas mal. Ce n’est pas parce que c’est compliqué que c’est impossible à comprendre. Ce n’est pas parce que les états d’âme sont tout ça à la fois, et qu’ils se dérobent à nous, que nous allons renoncer à les poursuivre.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37467
Mes états d’âme, c’est quoi ? C’est tout ce dont je prends conscience lorsque je m’extrais de mes automatismes du quotidien, lorsque je sors de l’« agir », et me laisse aller à observer ce qui se passe en moi. Le problème, c’est pour les observer : c’est que ça bouge tout le temps, un état d’âme, et c’est pour ça sans doute qu’on dit « les » états d’âme. On parle en anglais de stream of affects : courant, flot d’affects. Les états d’âme, c’est l’écho en moi de ce que je suis en train de vivre, ou de ce que j’ai vécu, ou ce que je n’ai pas vécu mais que j’aurais aimé vivre, ou ce que j’espère vivre. C’est aussi tout ce qui continue de tourner dans ma tête après que je me suis dit : c’est bon, stop, arrête, n’y pense plus. Bref, les états d’âme, c’est tout un monde.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37471
D’accord, petit humain, tes émotions te pousseront à naturellement avoir peur et à être triste, mais tu seras sauvé par tes états d’âme (si tu travailles bien sur eux…) !

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37472
Les événements de vie et situations défavorables induisent davantage d’états d’âme négatifs que leurs équivalents favorables n’induisent d’états d’âme positifs : nous nous agaçons du chauffe-eau en panne, mais nous ne nous réjouissons pas d’avoir tous les matins notre eau chaude. Eh bien, nous devrions le faire à titre d’exercice de lucidité et de bonheur ! Là encore, de nombreux travaux valident l’existence du phénomène.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37473
Enfin, les états d’âme négatifs nous poussent à un « traitement de l’information » plutôt lent, prudent, attentif, minutieux, dit « procédural » dans le jargon des scientifiques : pas à pas et pas trop vite, comme si on marchait sur un terrain miné ! Ils nous donnent l’impression que le temps qui passe est plus long41. Tandis que les états d’âme positifs nous amènent à une approche du monde environnant plutôt rapide, globale et intuitive, dite « heuristique » : on gambade psychologiquement.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37474
Selon une métaphore classique en psychothérapie humaniste, il s’agit d’être l’échiquier plutôt que les pièces : ne pas chercher à jouer les noirs contre les blancs, le positif contre le négatif. Mais comprendre que les deux nous sont utiles. Et que, sans les deux, il n’y a pas de partie, donc pas d’intérêt.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37475
Au lieu de faire tout ce qu’il faut pour aller mal, sors marcher pendant une heure ; si ça ne s’arrange pas, ça ne pourra pas être pire que continuer tes ruminations…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37476
Ruminer, c’est « se focaliser, de manière répétée, circulaire, stérile, sur les causes, les significations et les conséquences de nos problèmes, de notre situation, de notre état81 ». On utilise aussi en anglais le terme de brooding : « couver ». Effectivement, dans la rumination, on reste inactif, assis sur ses problèmes que l’on garde bien au chaud, sous soi, en les faisant croître…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37477
En général, les ruminations sont autocentrées. Et c’est un de leurs nombreux problèmes : elles facilitent l’enfermement sur soi, et donc nous empêchent de bénéficier ou d’écouter l’avis et l’expérience des autres, qui pourraient nous aider à en sortir. Plus on aborde un problème en se focalisant sur soi (« toujours à moi que ça arrive, que vais-je devenir, personne ne peut comprendre, personne ne peut m’aider… »), plus les dégâts en termes d’induction d’états d’âme négatifs sont massifs85. Réfléchir avec les yeux et l’expérience des autres, leur demander aide et avis, tout cela va alléger le poids émotionnel de la réflexion sur nos problèmes. Sinon il ne s’agit pas de réflexion !

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37478
Et puis, l’exercice de l’introspection, c’est comme prendre le temps d’accorder son instrument de musique, pour mieux en jouer ensuite. Combien d’entre nous prennent soin de réaccorder régulièrement leur âme ?

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37484
Nous avons à accepter la possibilité du drame, la proximité du tragique dans nos vies. Et vivre malgré cela : c’est la sagesse. Au lieu de ne plus vivre à cause de cela : c’est l’anxiété.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37485
Se connaître, c’est souvent se décevoir, certes. Mais ce n’est une raison ni pour se dévaloriser ni pour se fuir.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37486
La mise par écrit nous force à sortir du flou. Elle nettoie aussi nos éventuelles illusions : au moment du passage à l’écrit, beaucoup d’idées qui nous paraissaient géniales tant qu’elles étaient dans notre tête s’avèrent banales une fois couchées sur le papier ; beaucoup d’inspirations qui semblaient prometteuses se révèlent surtout vagues. Le journal intime est souvent un bel antidote à la paresse intellectuelle et à la boursouflure de l’ego : il nous force à travailler, à réfléchir. À trier aussi, car tout n’est pas forcément merveilleux, dans le grand tumulte de nos états d’âme.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37487
Tout d’abord, l’efficacité de la writing cure souligne une évidence : pour digérer une expérience douloureuse, il faut d’abord la reconnaître et l’accepter, pour pouvoir ensuite la raconter ou l’écrire… C’est pourquoi le déni et la « rétention émotionnelle » ont un coût si élevé en termes de dégâts sur la santé, physique ou morale. Ensuite, la mise en mots et en récit permet d’augmenter la cohérence d’événements et d’états d’âme qui sans cela auraient un goût d’inachevé. Et l’inachevé est psychotoxique, peu d’entre nous sont capables de se sentir bien avec des dossiers émotionnels refermés « non rangés » (cf. l’effet Zeigarnik dont nous avons parlé précédemment). D’ailleurs, les études qui comparent le fait de parler, d’écrire ou de simplement réfléchir à des expériences de vie douloureuses montrent clairement que l’écriture et la discussion font toutes deux bien mieux que la réflexion solitaire. Pourquoi la « simple » réflexion est-elle souvent si peu utile ? Parce qu’elle dérape très vite vers de la rumination ! Alors qu’il est bien plus difficile de ruminer par écrit : l’absurdité et la toxicité du mécanisme nous sauteraient aux yeux, alors que nous le tolérons dans notre esprit…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37488
Donc dans votre journal intime, décrivez bien ce qui s’est passé, avant de (et parfois au lieu de) vouloir mettre à plat les causes ; le pourquoi, ce sera pour plus tard, lorsque l’activation émotionnelle sera retombée…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37489
Être parmi les choses et auprès des gens », puis « faire de toutes choses une bénédiction ». Notre travail sur les états d’âme n’aspire pas à autre chose.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37490
Vivre : souffrir. Âmes inquiètes, cœurs tristes, prisons et usures des ressentiments. Désespoirs. Ne plus se débattre, inlassablement apprendre à laisser passer la vague, comme un nageur pas encore noyé. Accepter la souffrance, l’accueillir, oui l’accueillir, et l’observer : il y a toujours quelque part une issue de secours. Tiens bon, tiens bon, respire dans ta tête, et surtout garde les yeux ouverts. La voilà, la sortie…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37491
La douleur pousse spontanément à se couper du monde et à se focaliser sur soi, ce qui laisse encore plus de place dans notre esprit pour la souffrance. Et la souffrance devient peu à peu une rumination de la douleur, un inlassable retour vers elle.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37492
Une douleur est toujours de trop. Et tout ce qui permet d’éviter la douleur doit être fait, chaque fois que c’est possible : enlever le caillou de la chaussure, prendre un antalgique pour la rage de dents, de la morphine pour les métastases. La douleur n’a pas à être supportée si elle peut être solutionnée : atténuée ou mieux, supprimée. La douleur ne grandit pas, elle abaisse. Elle n’enrichit pas, elle rétrécit et appauvrit. Elle est une aliénation au monde qui nous entoure, elle nous emprisonne en nous-mêmes. Lutter contre la douleur consomme toute notre énergie. Nous aurions mieux à faire. La douleur démolit, fragilise au lieu de renforcer.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37493
L’histoire légendaire du jeune prince Siddartha Gautama nous raconte comment, échappant à l’existence dorée qui était la sienne dans le palais de son père, il découvrit au cours de quatre célèbres voyages la réalité de la condition humaine, rencontrant d’abord un homme âgé (nous allons vieillir), un malade (nous allons souffrir), un mort (nous allons mourir), puis un moine (nous pouvons agir). Après toute une vie d’aventures et de réflexion, celui qui était entre-temps devenu un bouddha (mot sanscrit qui signifie « éveillé ») énonça ses célèbres « Quatre Nobles Vérités » : 1) la souffrance existe, 2) la souffrance peut surgir, 3) la souffrance peut cesser, 4) il existe une voie conduisant à la cessation de la souffrance.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37494
Il s’agit de partir inlassablement de ce qui est, pas de ce qui devrait être. Non pas « je ne devrais pas souffrir autant, pourquoi, pourquoi ? », mais « cette souffrance est là. Je dois l’accepter. Puis, agir pour la limiter, la délayer, la dissoudre dans ma vie. Mais pour cela il me faut recommencer à vivre et non rester bloqué sur elle ». Regarder autour de soi, et se remettre en mouvement…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37495
Préoccupés. J’aime bien ce terme : être pré-occupé, c’est avoir l’esprit déjà encombré à l’avance, occupé par des soucis. Du coup, il n’y aura pas de place pour ce qu’on a à vivre, pas de place pour d’autres états d’âme, comme par exemple les bonheurs du quotidien. Ou une place limitée, ou contaminée, comme le notait Pessoa : Dans mon cœur règne une paix angoissée.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37496
Pourquoi sommes-nous si inquiets ? Est-ce dû à notre long passé de proies ? Cela ne fait pas si longtemps que nous avons pris le pouvoir sur la planète en tant qu’espèce animale. Lorsque ce n’était pas nous qui mangions les autres animaux, mais eux (ou quelques-uns d’entre eux) qui se nourrissaient de nous, notre capacité à l’inquiétude était alors un gage de survie : faire attention permettait de vivre plus vieux, donc de faire plus d’enfants, à qui on apprenait d’ailleurs à bien faire attention eux aussi. Et les « pas-assez-inquiets » disparaissaient ; au moins le faisaient-ils joyeusement… C’est pour cela, disent les psychologues évolutionnistes, qu’il y a tant d’aptitudes à l’anxiété chez les humains : nous sommes les descendants d’ancêtres qui survécurent grâce à l’inquiétude. Toutefois, au-delà de nos gènes, il y a notre cerveau et notre intelligence. Nous sommes capables d’anticiper à long terme, ce qui a sans doute rendu de grands services à notre espèce (penser à faire des stocks de provisions, imaginer par où pourraient arriver les ennemis, etc.). Mais cette fonction d’anticipation, qui a pris naissance dans le désir de prévoir d’où pouvaient arriver les ennuis, contient en elle la capacité de dérapage dans une suranticipation : le souci. Ce phénomène de bascule est d’ailleurs repérable en neuro-imagerie : des zones cérébrales différentes sont sollicitées au moment où on quitte l’anticipation simple (état d’âme sans trop de charge émotionnelle, et avec un sentiment de contrôle possible) pour aller vers le souci et l’inquiétude. Les animaux anticipent, eux aussi, mais à plus court terme, par rapport à leur futur immédiat, ils restent dans le « futur du présent ». Les humains sont capables d’extensions temporelles bien plus virtuelles : ils peuvent se projeter dans le futur lointain. C’est la formule « et si… ? », tellement caractéristique des états d’âme liés à l’anxiété. Et si c’était la fin du monde ? Et si plus personne ne m’aimait ? Et si je perdais mon travail ? Et si je ratais mon train ? Et si j’arrivais en retard à la séance de cinéma ?

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37497
Dans l’anticipation inquiète, on commet en quelque sorte une erreur de conjugaison : on confond de bonne foi le conditionnel avec le futur…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37498
Nous ne nous contentons pas de faire des prédictions, mais nous y adhérons ensuite. L’enchaînement a été bien étudié par les psychothérapeutes cognitivistes : 1) on produit en permanence des hypothèses sur les dangers éventuels à venir, 2) on prend l’hypothèse pour une certitude, 3) on réagit comme si elle était la réalité. Dans le corps et le cerveau de l’anxieux, il n’y a pas de différence entre penser à un problème et l’avoir. Si je me mets à penser à ma mort, peu à peu mon corps et mon esprit vont réagir comme si je devais mourir prochainement.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37499
Voici donc la sainte trinité des anxieux : 1) le monde est plein de dangers et de menaces, 2) je suis fragile, et ceux que j’aime sont fragiles, 3) on peut survivre, ou augmenter ses chances de survie, à la seule condition de prendre toutes les précautions adéquates. Ne pas le faire est de l’inconscience. Cette perception d’un monde dangereux implique logiquement un désir extrême d’éviter le moindre risque (c’est comme de travailler dans un labo de bactériologie : on n’y plaisante pas avec l’hygiène157). Bien sûr, les bases de ce credo ne sont pas absurdes et comportent une part de vérité, mais une part seulement. Et si elles aident à la survie, elles n’aident pas à la qualité de vie. Nous allons donc avoir à les moduler : 1) c’est vrai, le monde est dangereux, mais surtout à certains moments et à certains endroits ; il y en a d’autres où nous pouvons nous sentir en sécurité, 2) c’est vrai que nous sommes fragiles, et prendre quelques précautions n’est pas inutile ; mais pas au point de prendre toutes les précautions possibles, et de vivre sous cloche, 3) c’est vrai que faire attention augmente nos chances de survie ; inutile cependant de transformer cela en obsession qui altérerait alors notre qualité de vie, en nous faisant survivre longuement, mais enfermés dans la cage de l’hyperprotection.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37500
C’est un banquier anxieux qui téléphone à son associé : « Allô ? Bon, voici les nouvelles de nos affaires : c’est simple, c’est la catastrophe ! Je n’ai pas le temps de t’en parler tout de suite. Commence à te faire du souci, j’arrive…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37501
Adopter une attitude intéressée et respectueuse envers les inquiétudes de nos patients leur permet à eux aussi d’adopter cette attitude, sans raideur.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37502
Revenir dans le vrai monde et se débarrasser d’un certain nombre d’illusions… Illusion 1 : Il est possible de tout contrôler, en se donnant un peu de mal. Réalité : Non, on ne peut tout contrôler. Illusion 2 : En s’y prenant bien, on devrait pouvoir éviter les problèmes. Réalité : Non, les problèmes font partie de la vie. Illusion 3 : L’incertitude ne peut déboucher que sur du danger. Réalité : Non, beaucoup de choses incertaines se résolvent d’elles-mêmes.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37503
Lorsque nous sommes anxieux, le monde n’est plus composé que de « missions à accomplir ». Du coup, vivre, tout simplement, devient un souci…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37504
Juste comprendre que nous ne sommes pas tout-puissants. Que le désordre et l’incertitude sont inhérents au monde vivant et mobile auquel nous appartenons. Que si on n’apprend pas à les tolérer, on va avoir une existence drôlement fatigante.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37505
J’ai une bonne nouvelle : le monde sans souci dont vous rêvez existe. Et une mauvaise : ça s’appelle le paradis et ce n’est pas pour tout de suite. En attendant, on va essayer de s’arranger avec ce monde-ci, qui s’appelle la Vie…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37506
Mieux vaut tout de même augmenter sa tolérance à l’incertitude ! Comment s’entraîner ? En cessant par exemple de se surprotéger, de surplanifier. On peut ainsi partir avec son conjoint en week-end sans avoir planifié où on irait dormir. Ou organiser une soirée avec des amis sans avoir préparé le repas à l’avance. Ou laisser son conjoint faire les courses à notre place (si c’est nous qui les faisons habituellement). Bien sûr, ça ne sera peut-être pas aussi bien que si nous avions tout verrouillé comme d’habitude. Et alors ? Est-ce si grave ? Ne sommes-nous pas en train de nous entraîner à supporter l’incertitude et l’imperfection ? Comment les supporter si on ne s’y confronte jamais ?

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37507
Apprendre à accepter les problèmes Sous l’emprise de l’anxiété, on en viendrait presque à considérer que ce n’est pas normal qu’ils existent ! Qu’ils sont forcément la preuve d’une incompétence (de soi ou des autres) ou d’une anomalie. D’où une attitude négative et un perfectionnisme anxieux : plus je suis soumis à des états d’âme négatifs, plus je vais percevoir tout problème comme une menace et non comme une demande, une difficulté plus ou moins normale, en tout cas à résoudre. L’existence même du problème est considérée comme anormale. Sans doute en raison d’un certain pessimisme et de doutes dans la capacité à le régler (l’estime de soi défaillante est évidemment une source d’états d’âme anxieux). Mais l’ennui, c’est qu’alors le souci est centré sur le problème (car on se dit que ce n’est pas normal, on ne l’accepte pas), pas sur la solution (car pour accéder à la recherche de solution, il faut bien avoir accepté le problème et son existence). Ce que reconnaissent les patients qui ont pu faire des progrès : « Rumination n’est pas solution », « J’étais toujours soucieux, mais pas toujours efficace », « Je pensais tout le temps aux problèmes, mais mal ».

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37508
Admettre vraiment que l’adversité existe. Et lui faire une place dans notre vie. Accepter que les problèmes existent, et les considérer seulement pour ce qu’ils sont : des problèmes à régler, pas des drames inacceptables et menaçants. Un pneu crevé, des vacances ratées, un enfant qui redouble : ce sont des problèmes d’être vivant et actif, pas des drames. Je me souviens un jour, lors d’un voyage, avoir entendu un pilote d’avion offrir un petit cours de philosophie à ses passagers lors d’un retard d’une heure : « Bonjour mesdames, messieurs, c’est votre commandant de bord qui vous parle. Le retard est dû à l’appareil précédent qui avait des problèmes et que nous avons dû changer. Toutes nos excuses pour cette heure de retard. Mais mieux vaut une heure de retard dans ce monde qu’une heure d’avance dans l’autre… » Accepter les problèmes, l’adversité, c’est accepter – et préférer – la vie.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37509
Prendre le temps de regarder ses peurs en face Si je redoute ce qui me semble être une catastrophe, il est parfois utile, plutôt que de chercher à me rassurer (« Mais non, ça ne va pas se produire »), d’en accepter plutôt l’éventualité (« OK, ça peut se produire »), et d’en examiner alors les conséquences. Utile de se demander aussi quelle sera la portée dans quelques mois ou quelques années de ce qui nous inquiète tant aujourd’hui. Tout cela relève de la même démarche : à un moment (pas tout le temps !) ne plus chercher à se raisonner ni à se rassurer, mais se dire : « OK, et si ça arrive, il se passe quoi, et tu fais quoi ? » Et se forcer à rester concentré sur cette question, au lieu de la fuir (en pensant à autre chose) ou de la nier (en se disant « mais non »). L’exercice est évidemment plus difficile avec la grande adversité : mort ou maladie. Mais la démarche va rester la même : affronter et regarder en face. Jusqu’à avoir accepté, sincèrement, profondément, les idées suivantes (phrases que mes patients utilisent pour eux-mêmes) : « La mort fait partie de la vie », « La vie est une maladie mortelle », « Je peux mourir », « Les gens que j’aime peuvent mourir », « Et c’est bien pour ça que je vais travailler à vivre heureux ! ». Puisque nous mourrons (c’est sûr) et souffrirons (c’est probable), le mieux n’est-il pas de suivre le conseil de l’humoriste Pierre Desproges : « Vivons heureux en attendant la mort » ? Mais il faut pour cela qu’elle ait cessé de nous obséder et de nous angoisser.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37514
Il y a également tous les dégâts relationnels : le négativisme qui fait le vide, les énervements qui provoquent des conflits, la rancune qui empêche de pardonner et qui brise absurdement des liens. Sans parler de sa complication, de sa surinfection tôt ou tard par des états d’âme de culpabilité, de tristesse d’avoir fait souffrir un autre humain, d’avoir ajouté au malheur du monde…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37515
Assumons nos amertumes, transformons-les en déceptions, en tristesses. Marchons, en bavardant avec Cioran, dans la rue de l’Amertume, pour nous rendre place de la Déception, et finir ensuite dans le jardin de la Tristesse. Là, ça ira mieux : on pourra commencer à vraiment comprendre ce qui nous arrive, et passer à autre chose : emprunter le passage de l’Acceptation, nous balader avenue de l’Action…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37516
Le ressentiment sous toutes ses formes est étroitement lié à l’inaptitude au bonheur.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37517
Dans le dessin animé pour enfants Kirikou figure une méchante sorcière, dont on découvre qu’elle est méchante justement parce qu’elle a – depuis si longtemps qu’elle l’a elle-même oublié – une énorme épine enfoncée dans le dos : tout change dès lors que le héros, le jeune Kirikou, la lui retire...

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37518
La solution pour éviter la colère refoulée (qui est ce qu’il y a de pire), ce n’est pas la colère défoulée, mais le dialogue et l’explication. Après un temps de décompression, un time-out, disent les Américains, un temps pour sortir, respirer, voire aller courir un peu. Mais surtout pas de séance de punching-ball, ou autres manœuvres de détournement de l’hostilité prétendument défoulantes : elles ne font qu’aggraver le ressentiment et préparer le retour de la colère.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37519
La vidange émotionnelle et la catharsis, ça ne marche pas…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37520
Folie de la colère, sagesse de la douceur : quelques efforts utiles. Supprimer colère et ressentiment ? Hum… Il semble plus raisonnable : 1) de considérer que leur survenue est inévitable dans toute vie sociale, à moins d’être très doué ou de vivre hors du monde, 2) qu’il est possible d’apprendre à les réguler plutôt que d’espérer ne pas les ressentir, 3) que la première compétence en la matière est d’accepter de voir que derrière chacun de nos ressentiments il y a de la souffrance, et 4) d’avoir envie de moins souffrir…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37521
Dans son ouvrage De la colère, le philosophe stoïcien Sénèque répond à l’objection : « “Mais contre les ennemis, dit-on, la colère est nécessaire.” Jamais elle ne l’est moins : à la guerre, les mouvements ne doivent pas être déréglés, mais ordonnés et dociles. […] Le gladiateur aussi, c’est l’art qui le protège, c’est la colère qui l’expose. » On agit toujours mieux apaisé qu’énervé.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37522
Décider d’être lent à la colère et de ne détester personne. À force d’explorer les méandres de nos motivations inconscientes, la psychologie moderne a fini par considérablement sous-estimer l’importance de nos décisions conscientes dans les processus de changement. Or décider de laisser de moins en moins de place à la colère et au ressentiment dans sa vie, c’est possible. En tout cas, ce qui est possible, c’est de décider d’y travailler. En sachant que, comme dans tous les combats contre les habitudes, il y aura de nombreuses rechutes et retours de ressentiment : nous devons accepter que ça revienne régulièrement sans le considérer comme la preuve que c’est impossible, mais simplement que ces retours font partie du processus de changement. En France, et plus généralement dans les pays latins, les efforts à faire face à la colère ne sont guère soulignés, et il existe davantage de livres consacrés de manière plus ou moins directe à l’éloge de la colère ou au droit à la colère, que de manuels expliquant comment la contrôler. Dans d’autres pays, la colère est prise plus au sérieux : aux États-Unis par exemple, mais aussi dans bien d’autres endroits, existent des centres de soins spécialisés et des sites Internet dédiés aux colériques qui veulent ne plus l’être.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37523
Se rappeler qu’il n’y a pas de ressentiment utile. Peu à peu, apprendre à ne plus les tolérer en soi. Par exemple les colères parce qu’on a perdu son chemin lors d’une randonnée en vacances, ou en allant dîner chez des amis. Commencer par s’efforcer de sourire au lieu de s’énerver. Pour cela, planifier et anticiper la venue de l’énervement. Se dire : « C’est typiquement le genre de situation où, en cas de petit incident, je m’énerve vite. Je me calme par avance, maintenant. J’évalue tout de suite si ça vaut ou non la peine de s’énerver. J’accepte tout de suite ceci : me perdre est un événement de vie normal. » Il est vrai que maintenant, avec les GPS, on ne pourra plus utiliser ces petits incidents comme des moyens de muscler sa patience et sa sagesse. Mais, du coup, on sera encore plus démuni le jour de la panne de GPS…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37524
Se débarrasser des mythes : il n’y a pas de « justes colères », et tous les ressentiments ne sont pas légitimes Attention aux mythes sur la colère : aucune colère n’est bonne. En tout cas, si l’on aspire à l’équilibre intérieur, elle ne peut être tolérée que comme signal d’alarme face à un problème éventuel. Ensuite, il faut l’avoir mise en laisse avant d’agir. Aristote disait : « Elle doit donc nous servir non comme chef, mais comme soldat. » L’action est bonne ; l’action inspirée par la colère peut l’être ; mais très rarement l’action sous son emprise. Ce n’est pas être faible qu’être calme et refuser la colère. Les grands leaders de la non-violence, Gandhi, Martin Luther King, le dalaï-lama, n’étaient – ou ne sont – pas des faibles. Prenons garde de ne pas survaloriser les « justes colères », la colère est surtout un grand destructeur de lien social. On célèbre trop souvent les bénéfices de la colère par rapport à ses énormes dégâts. Cette célébration fait que les forts et les puissants se permettent trop souvent de se mettre en colère, ne freinent pas assez son éclosion, ne font pas assez d’efforts pour dialoguer autrement. Et les faibles s’en veulent de ne pas être capables de faire comme les forts… La colère donne une énergie, certes, mais toxique, polluante, coûteuse. Elle déborde et dérape à peu près toujours. Elle inflige des blessures à l’origine de nouveaux ressentiments, graines de colères et de conflits à venir.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37525
Ne jamais banaliser la colère et le ressentiment. Après un conflit ou une montée de colère, même sourde et muette, même inexprimée, ne pas passer tout de suite à autre chose : ce serait le meilleur moyen de laisser vivre et durer des états d’âme hostiles, et d’en favoriser le retour. S’il y a eu colère, alors c’est qu’il y a eu quelque chose d’important ou de grave, objectivement ou subjectivement. Ou que je ne vais pas bien en ce moment. Tout cela mérite un peu de réflexion. Alors, je me pose, je calme mon corps, et je réfléchis. Je me demande ce qui s’est passé pour que je me mette dans cet état. Et si j’aurais pu m’y prendre autrement. Juste me poser la question et faire vraiment l’effort d’y répondre. Je me demande comment je peux me rapprocher de ce qui est important pour moi (être écouté, être respecté…) sans avoir à héberger tous ces ressentiments…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37526
Ne pas oublier la tristesse ou la peur derrière nos états d’âme de colères. Il s’agit pour nous de bien écouter, en deçà du ressentiment, la petite voix de nos états d’âme originels. Souvent, la colère est une émotion dite secondaire, qui occulte une peur ou une tristesse qui sont en fait à l’origine de notre souffrance. La mère qui a vu son enfant traverser sans regarder et qui le gronde avant de le prendre dans ses bras, soulagée : elle a ressenti la colère alors que la peur était son premier réflexe. De même pour notre rancune lorsqu’on nous montre nos contradictions et nos erreurs : au départ il y a la déception – tristesse et désillusion – de s’être trompé. Et puis, bien sûr, à côté de la tristesse et de la peur comme sources de colère, les inquiétudes et ce qu’on nomme aujourd’hui stress.

Christophe André
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#37527
Ne pas oublier son bonheur et son équilibre intérieur. À un moment ou à un autre de mes ressentiments, me demander sincèrement : « Est-ce que je veux continuer comme ça ? Est-ce que je me sens bien dans ces états d’âme ? » Il existe une incompatibilité totale des états d’âme de colère et de ceux de bonheur. C’est d’ailleurs l’incompatibilité la plus radicale dans les jeux d’alliances subtiles des états d’âme : on peut être heureux malgré sa tristesse, ou malgré son inquiétude. Mais pas heureux et énervé. La colère dérange systématiquement l’harmonie et le lien au monde. Pour vivre heureux (ou à peu près), il est indispensable de développer une aversion pour la colère et le ressentiment. Indispensable de ressentir de plus en plus la colère comme une souffrance : c’est inconfortable, mais c’est un progrès…

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#37528
Nous devons prendre conscience que le ressentiment nous emprisonne et nous aliène : sous son emprise, nous perdons du temps de vie heureuse ou légère, en consacrant trop de notre énergie et de nos pensées à ressasser des idées de vengeance, à désirer la punition. Un psychologue américain qui a travaillé sur ce thème, Steven Hayes, propose de voir le ressentiment comme un hameçon sur lequel on est comme deux asticots à souffrir et à gigoter. Le premier asticot embroché, c’est nous ; le second, c’est la personne qui nous a offensé. Tant que nous avons de la détestation en nous, c’est comme si nous nous maintenions nous-même sur l’hameçon. Mais le seul moyen de nous décrocher, c’est de d’abord décrocher l’autre, autrement dit de lui pardonner, pour pouvoir à notre tour nous libérer (parce que l’autre est sur le chemin de la sortie de l’hameçon, les pêcheurs comprendront…).

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#37529
Le pardon est un enjeu fondamental pour toute société composée d’animaux sociaux, tels que nous autres humains : comme les souffrances, les offenses et les violences sont omniprésentes, qu’elles soient volontaires ou pas, les processus de pardon sont indispensables à la survie de l’espèce, qui va sinon se déchirer en permanence. C’est pourquoi on en trouve des prémices chez les singes sous forme de rituels de réconciliation après les conflits. L’aptitude au pardon, si importante pour éviter des représailles interminables et coûteuses, a probablement plus de trente millions d’années. Elle est un héritage partagé de l’ordre des primates, commun aux grands singes et aux humains.

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#37530
Signalons à ce propos la nécessité qu’une justice existe (régulation sociale) pour que le pardon (régulation intra- et interpersonnelle) puisse exister. Sans la justice, le pardon serait parfois une imprudence.

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#37531
Pardonner, ce n’est pas excuser, amnistier ou absoudre : dans le pardon, on ne nie pas la faute ou l’offense, mais on décide de ne plus vouloir s’en venger. Cela n’implique pas non plus de relativiser l’agression pour pouvoir pardonner. Ni de devoir se réconcilier : le pardon peut être une décision privée, non exprimée à un offenseur qu’on peut décider de ne jamais revoir par ailleurs. Ni de souhaiter recevoir des excuses : si ces dernières sont souvent bénéfiques, on peut et on doit décider de pardonner d’abord pour soi, pour se libérer soi-même de la haine. Enfin, le pardon n’est pas l’amnésie ou l’oubli : on n’oublie pas ce qui s’est passé.

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#37532
Conscience du coût du ressentiment et pratique régulière du pardon : un bon alliage pour résister aux corrosions du quotidien.

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#37533
D’ailleurs, ce n’est pas seulement repousser le ressentiment qui est intéressant, c’est créer en nous une ambiance psychologique qui le rende rare. Par exemple en s’astreignant à une discipline de l’empathie, voire de la compassion, en cherchant toujours à comprendre le point de vue des autres. Se montrer bienveillant a priori, et toujours avoir le souci de ne jamais oublier ni perdre de vue le bon côté éventuel des choses et des gens. Pas seulement comme un truc, mais comme un principe de vie. Ce n’est pas seulement la tolérance que nous devons viser, mais la bienveillance.

Christophe André
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#37535
Les médecins savent bien que certaines fatigues sont des tristesses du corps, ou des dépressions dans lesquelles c’est le corps qui parle : « Le contraire de la dépression n’est pas le bonheur ni la joie : c’est la vitalité...

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#37536
La tristesse parce que le monde est triste ? La tristesse serait due alors à la perte de nos illusions positives, que Cioran appelle nos « erreurs chaleureuses ». On se trompe, certes, en voyant les choses plus belles qu’elles ne le sont, mais cela nous réchauffe le cœur et nous aide à vivre. Ces erreurs existent bel et bien, de nombreux travaux ont confirmé que le bien-être psychologique se nourrissait d’un certain nombre de distorsions positives de la réalité : il existe une relative « lucidité dépressive » – en réalité, une lucidité de la tristesse, car nous verrons que, dans la maladie dépressive, le jugement s’obscurcit au contraire – qui conduit souvent à une meilleure évaluation des choses telles qu’elles sont. Comme le remarquait Paul Valéry : « Voir clair, c’est voir noir. » Mais ces erreurs nous protègent de la tristesse et du désespoir que pourraient faire naître en nous la contemplation approfondie du monde tel qu’il est. Elles nous font croire que la vie est belle, le monde accueillant, et le bonheur facile. Et tant mieux, car cela nous donne le courage d’agir et nous permet paradoxalement de réaliser en partie ce désir que le monde soit beau et bon, et de faire ainsi que ces prophéties optimistes s’accomplissent. Croire permet de changer le monde. Mais il ne faut pas que les efforts s’arrêtent, ni que cesse l’illusion. Car alors, le voile se déchire.

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#37537
Seule la tristesse fige. Les psychiatres parlent à propos de la tristesse d’une « perte de l’élan vital ». Et selon les psychologues évolutionnistes, c’est sa fonction naturelle : nous inciter à l’immobilité et au ralentissement lorsque nous avons été blessés ou endeuillés, pour nous aider à nous réparer et nous reconstruire. Mais le mécanisme naturel se dérègle souvent. C’est pourquoi il existe des tristesses plus dangereuses que d’autres. Il y a des tristesses qui nous enrichissent et d’autres qui nous amputent. Bizarrement, la tristesse peut nous élargir ou nous rétracter selon son intensité. À un degré léger, elle nous connecte au monde, mais de manière douloureuse, en nous rendant hyperempathiques et hypersensibles, très réceptifs au malheur des autres. Mais au-delà, lorsqu’on s’approche des tristesses dépressives, c’est la rétraction qui nous guette : sentiment d’impuissance d’abord, puis indifférence, puis désespérance.

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#37538
Il existe en psychopharmacologie une expérience de laboratoire cruelle : pour tester l’efficacité antidépressive éventuelle d’une nouvelle molécule, on place des souris dans un bocal rempli d’eau, profond et aux parois lisses, où elles ne peuvent s’accrocher, et doivent donc nager inlassablement pour ne pas se noyer. On appelle ça le « test de la nage forcée ». Une molécule est jugée intéressante si elle permet à la souris traitée de nager plus longtemps que les souris non médicamentées : au bout d’un certain temps, ces dernières, épuisées et démoralisées, cessent de nager. Les antidépresseurs, par contre, prolongent significativement le temps de nage, c’est-à-dire le temps de lutte contre le désespoir et le découragement. Nous verrons plus loin que lorsqu’on se sent épuisé de lutter, se laisser couler dans la dépression est comme un refuge…

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#37539
La dépression comme déconnexion et retrait du monde… « Quand on s’abandonne, on ne souffre pas. Quand on s’abandonne, même à la tristesse, on ne souffre plus », disait Saint-Exupéry. Lorsqu’on est épuisé de vivre, le renoncement pourrait dans un premier temps, et de l’extérieur, apparaître comme un refuge. Mais pour ne plus souffrir, on renonce à vivre. On se résigne à une vie sans saveur pour n’avoir pu la vivre sans douleur. Hélas, cela ne marche pas, et la souffrance persiste. Certes, comme on cesse de se battre, on éprouve du coup un soulagement, au moins transitoire. On renonce, on ne fera plus d’efforts, on s’abandonne à la maladie. Mais bien vite arrivent les ruminations sur le thème « je suis tombé bien bas ». Peu à peu, d’autres souffrances s’installent : non plus celles de l’échec, du deuil, de la perte. Mais celles de la contemplation de soi dans l’impuissance ; celles de la rupture du lien social, car la dépression est une solitude ou une incompréhension ; même les proches les plus compréhensifs ou les mieux informés auront toujours tendance à attendre davantage de nous, à se dire : « Il (ou elle) doit faire un peu plus d’efforts. » Et puis, l’autre risque, c’est celui de notre lente déconnexion du monde. Alors que la tristesse et les états d’âme associés sont au départ comme une sorte d’hypersensibilité au monde environnant, dans ses aspects sombres, la maladie dépressive altère, au-delà d’un certain stade, la réactivité émotionnelle. On a longtemps pensé qu’elle augmentait la capacité à ressentir des états d’âme négatifs et diminuait celle à ressentir des états d’âme positifs. En réalité, la première proposition est à corriger, à affiner, et ne concerne sans doute que les formes débutantes ou mineures de la dépression. Une fois que la dépression est devenue plus intense, il y a un émoussement global de la capacité à ressentir toutes les formes d’états d’âme, positifs ou négatifs. Ce qui au fond est logique : la dépression, dans sa forme maladive, est une mise en retrait pour s’économiser et se protéger des choses de la vie, que l’on n’arrive plus à affronter. Sa seule vertu, dans un premier temps, est donc qu’elle puisse avoir un effet antalgique, en nous libérant de la douleur de devoir faire face.

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#37540
Attention à ne pas amplifier son ressentiment en se montant la tête avec des proches. Souvent, lorsqu’on est irrité, on va se confier à des proches : cela consiste à leur raconter notre version des faits. Comme ils nous aiment, ils vont souvent l’accepter et donc la valider. Et ce soutien peut effectivement me calmer, et me faire alors prendre du recul : cette gorgée d’affection et d’estime me remonte le moral et, apaisant ma tristesse, apaise mon ressentiment. Mais cette écoute favorable peut aussi entraîner sa consolidation. À partir de ma version tronquée, mes proches me « croient » trop et risquent de m’enfoncer un peu plus dans une vision déformée des choses : « J’ai raison et l’autre a tort. Et il n’y a pas que moi qui le dis : mes amis le pensent aussi. » Comment alors ne pas continuer à éprouver du ressentiment ? Des travaux ont été conduits, qui confirment le phénomène de ce que l’on nomme alors la « corumination » : on ressasse avec des amis, l’amitié en sort améliorée, mais pas la lucidité ; ce sont surtout les femmes qui semblent avoir recours à ces coruminations, ou du moins, elles le reconnaissent, plus facilement...

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#37541
La pensée dépressive et, dans une moindre mesure, la pensée triste sont comme des paroles abusives que l’on se tient en permanence à propos de soi et du monde. Comme un murmure constant que l’on n’écoute plus mais que l’on accueille inconsciemment, et qui tout doucement nous attriste, nous inquiète, nous dévalorise. Parmi les efforts pour ne pas se faire totalement piéger, l’un des plus importants consiste donc à prêter une attention particulière aux mots : par exemple en définissant exactement ce qu’ils veulent dire. En thérapie, si une patiente dit qu’elle ne se sent pas à la hauteur dans son travail, ou en tant que mère, voici ce que dira le thérapeute : « Vous me dites que vous vous sentez une mauvaise mère. Je n’en sais rien personnellement, mais j’aimerais que vous me précisiez : c’est quoi une mauvaise mère ? Que fait-elle ? Que ne fait-elle pas ? Qu’est-ce qui s’applique alors dans votre cas ? » L’idée est de ne plus laisser passer des jugements partiaux déguisés en constats neutres. Et de toujours ramener le patient du jugement général aux faits précis. Pour que peu à peu la patiente devienne vigilante avec elle-même : « Je me sens mauvaise mère lorsque mes enfants pleurent le soir et ont des angoisses. Mais je ne suis pas une mauvaise mère : simplement, en ce moment, je suis moins disponible pour eux, et ils le sentent. C’est ça le problème, et c’est ça dont il faut que je m’occupe. Au lieu de me harceler et de me juger négativement.

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#37542
Autre stratégie classique : la réattribution de responsabilités. Ainsi, la jeune maman ci-dessus s’attribue la responsabilité de mauvaises notes de ses enfants à l’école (« mauvaise mère »). Il est important de l’aider à partager ces responsabilités : sans les fuir, mais surtout, qu’elle ne prenne que sa part du gâteau ! Nous dessinons avec elle un grand cercle représentant une tarte, dans laquelle elle doit découper des parts : au lieu de tout prendre pour elle, nous discutons pour voir quelle serait aussi la part de son mari dans ces mauvais résultats scolaires, la part de ses enfants eux-mêmes (après tout !), celle des enseignants éventuellement, celle de la société (qui incite à moins travailler), celle de la baby-sitter s’il y a lieu. Non pour transférer les accusations excessives sur d’autres, mais pour soulager le poids des responsabilités inutiles car imaginaires, et pour montrer que s’il y a plusieurs sources au problème, alors il y a aussi plusieurs types d’actions possibles, et plus concrètes que « devenir une bonne mère » est évidemment un programme aussi intimidant que flou !

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#37543
Il est également important de réintroduire la notion de continuum dans la pensée dépressive, selon la technique de la « règle graduée ». Cela pour éviter la vision en tout ou rien, cette distorsion appelée « raisonnement dichotomique ». Elle est à l’œuvre dès qu’on se trouve tourmenté par des états d’âme où figurent des bribes de pensées telles que : « C’est la catastrophe », « C’est de ma faute », « Je ne suis pas capable de faire ce boulot, je n’y arriverai jamais ». Le thérapeute reprend alors : « C’est quoi une catastrophe ? Et dans ce cas, ici, quel est le degré de cette “catastrophe”, de 0 à 100 ? » Beaucoup de nos pensées émises sous l’emprise d’un état d’âme négatif sont en fait des jugements radicaux, et sans nuances. Ainsi, face à une difficulté, on ne se dira pas : « C’est une difficulté et j’ai du mal à y arriver », mais plutôt : « C’est complètement infaisable ce truc », « Je suis nul », « Je n’y arriverai jamais », « C’est toujours pareil », et autres pseudo-certitudes. Réintroduire le sens de la nuance est donc capital…

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#37544
Prêter attention à ses obligations cachées. Comme nous l’avons vu à propos des états d’âme de ressentiment, nous sommes toujours habités par des croyances subconscientes appartenant à une des trois familles : « Je devrais… », « Les autres devraient… », « Le monde devrait… » Parmi les croyances attristantes (il y en a des encolérantes, des inquiétantes…), il y a par exemple dans les « Je devrais » : « Toujours aller bien, toujours réussir ce que j’entreprends, toujours savoir réagir et régler les problèmes… » Dans les « Les autres devraient à mon égard » : « être fidèles, ne pas m’oublier, se montrer justes, me respecter, m’écouter, me comprendre… » Et dans les « Le monde devrait » : « être juste, cohérent, doux… » Ces croyances sont légitimes et représentent des idéaux pour la plupart des humains. Mais l’incapacité à supporter que parfois ces idéaux ne soient pas atteints peut provoquer de la souffrance en nous, sans que nous en soyons clairement conscients : même si consciemment nous savons que le monde n’est pas comme dans nos rêves, nous en rêvons cependant inconsciemment.

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#37545
L’action est un antidépresseur On a intérêt à se bouger lorsqu’on est triste ou déprimé. Pas seulement pour « se secouer » comme nous y exhorte notre entourage. Mais parce que tous ces petits gestes du quotidien (marcher, ranger, cuisiner, s’occuper de son corps, de son environnement, s’exposer à la lumière, aux contacts sociaux…) sont antidépresseurs. À dose homéopathique mais avec un effet réel. Et surtout, l’inaction a, elle, un effet hautement toxique, tangible et rapide. Alors, même si l’effet direct de l’action est délayé, léger, retardé, au moins l’action permet-elle d’occuper la place de l’inaction, ce poison ! Pas facile si on est déprimé : alors qu’on n’aime plus cette vie, que parfois elle nous dégoûte, se contraindre à agir, c’est un peu comme nager dans une eau pleine d’algues. Tenir, vaillamment : on finira par atteindre l’eau claire…

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#37546
Le remue-méninges aussi Il commence à exister des travaux sur ce qu’on appelle la « remédiation cognitive », sorte de gym-cerveau pour les personnes présentant des tendances dépressives. On a aussi montré que le fait de se trouver confronté à des idées variées et changeantes induit des états d’âme positifs, moral et énergie s’en trouvent augmentés : cela s’obtient en laboratoire en vous faisant lire rapidement des successions de phrases exprimant des idées différentes, induisant une accélération de la pensée (tachypsychie). Et cela peut s’obtenir dans la vraie vie en participant à des discussions intéressantes, en écoutant des conférenciers maîtrisant leur sujet, des émissions de radio ou de télé intelligentes, etc. Le remue-méninges est bon pour le moral…

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#37547
Attention aux mauvaises habitudes dont on ne se rend pas compte « Le grand cafard éteint l’esprit », disait Cioran. Et la vigilance. En général, la tristesse nous pousse à faire ce qui va la nourrir : rumination, repli sur soi, privation de ce qui peut nous distraire ou nous faire plaisir… Si on veut lutter, il faut reconnaître cette tendance comme un symptôme de la tristesse et non comme un besoin légitime. Surtout ne pas attendre le désir pour agir. Et ne pas attendre non plus de plaisir de ces actes au début forcés. Bref : accepter d’agir sans en avoir envie, et sans en retirer de bénéfices immédiats. On comprend que ce soit dur ! Mais c’est un moyen efficace pour réamorcer la pompe à bien-être.

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#37548
Le bonheur est le seul antidote profond et durable à la tristesse. Ou plutôt qu’un antidote, ce qui supposerait de neutraliser ou de supprimer la tristesse, ce qui n’est ni possible ni souhaitable sur la durée, le bonheur permet de composer avec elle un alliage, comme deux métaux qui se côtoient et donnent un composé original et supérieur aux deux métaux qui l’ont engendré (ainsi le bronze, alliage de cuivre et d’étain). Par exemple, la tristesse et le bonheur d’être parents : la tristesse de voir grandir, et un jour partir, ses enfants est bien réelle ; certains parents d’ailleurs s’en remettent mal. Souvent, en tant que parent, on va ressentir cette tristesse avant même que la situation du départ n’arrive. Mais si elle est acceptée et comprise, elle peut aussi ouvrir les yeux et pousser à savourer plus intelligemment le bonheur de la présence de ses enfants. À dégager davantage de temps passé avec eux maintenant. Leur départ, un jour, est virtuel, même s’il est certain ; il n’est pas la réalité du moment. Le bonheur de les avoir encore avec soi, lui, est réel, et il est la pleine réalité du moment. Ce bonheur de savourer une présence est ainsi rendu plus fort par son passage dans le bain de la tristesse, comme autrefois les pellicules photo dans le bain du révélateur…

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#37549
Dans son Portrait de Don Juan, Marcel Jouhandeau notait à ce propos : « Il n’y a peut-être pas de suicide proprement dit : on ne se tue que parce qu’on est tellement éloigné de soi-même qu’on ne se reconnaît pas : on vise un fantôme, un fantoche, une caricature dont la promiscuité vous embarrasse ou vous déshonore. » Ce à quoi Montherlant ajoutait : « On se suicide par respect pour la vie, quand votre vie a cessé d’être digne de vous ».

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#37550
En étudiant les statistiques de la police californienne, on s’aperçut que sur les cinq cent quinze personnes qui avaient été empêchées de sauter d’un célèbre pont (le Golden Gate à San Francisco) entre 1937 et 1971, seulement 6 % avaient ensuite fini par se suicider : cela avait été vérifié ultérieurement par les études de leurs certificats de décès. Et même si on incluait les morts déclarées par accident, en supposant que cela ait pu être des suicides déguisés, on ne trouvait pas plus de 10 % des anciens désespérés qui avaient disparu de mort violente. C’est certes plus que dans la population générale, mais ça veut dire tout simplement que 90 % de ceux qui avaient été arrêtés au dernier moment, alors qu’ils s’apprêtaient à sauter, avaient fini par retrouver le goût de vivre ! Ou au moins par perdre celui de mourir…

Christophe André
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#37551
Les mécanismes de mimétisme social fonctionnent pour l’ensemble de nos comportements, dont le suicide. Ce n’est pas un phénomène moderne : Goethe écrivit en 1787 le roman qui le rendit célèbre, Les Souffrances du jeune Werther, dont le héros se suicide car la femme qu’il aime a épousé un autre homme. Le roman connut un énorme succès et déclencha apparemment une vague de suicides mimétiques dans l’Europe d’alors. Nous n’avons pas les chiffres de l’époque, mais ce phénomène a été étudié de nos jours et confirmé. Lorsqu’une star se suicide, cela influence bien sûr les personnes fragiles, souffrant de difficultés psychologiques préexistantes mais aussi le grand public en général, en augmentant de manière significative le nombre de gestes suicidaires dans la période qui suit.

Christophe André
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#37552
Restez là, s’il vous plaît. Nous avons besoin de vous ici-bas, besoin de poètes qui ne servent à rien. Besoin de gens sensibles dans ce qu’on appelle parfois “un monde de brutes”. Imaginez un monde sans poètes, où il n’y aurait plus que des bagarreurs, des winners, des banquiers. Imaginez un monde où les seules plantes qui resteraient seraient des milliers de kilomètres carrés de tomates poussant hors sol sous des bâches en plastique, ou de plantes de ce genre. Eh bien, le poète, il est comme le bout de terrain vague oublié où poussent des herbes folles et des fleurs sauvages. On se retrouve en septembre. Amicalement.

Christophe André
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#37563
Lucidité : accepte ta fragilité mais regarde plus loin qu’elle. Mets ton corps de bonne humeur : aide-le à trouver le calme et l’énergie. Pacifie tes états d’âme : tiens ton esprit comme une voile dans le vent. Et n’oublie pas que tu vis dans un drôle de monde : pense à le changer, lui aussi.

Christophe André
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#37564
Les « forts » croient que les sensibles sont faibles, et ils sont tout surpris quand ils découvrent que non : ils cherchent juste à être tranquilles, mais savent aussi monter au front avec une vigueur d’autant plus efficace qu’elle est inattendue… D’autres caractéristiques de tous ordres ont été décrites chez les personnes hypersensibles : leur caractère consciencieux, leur capacité de concentration (en l’absence de distractions externes), leur aptitude à détecter des différences mineures, leur empathie, leur possibilité de rester longtemps immobiles, leur forte réactivité à la caféine, et aussi la plus grande fréquence chez elles des allergies et des rhumes des foins, etc.. Cette accumulation de détails plaide en faveur de probables spécificités biologiques et cérébrales, expliquant l’hypersensibilité. Mais les hypersensibles disposent surtout d’une vie intérieure très riche, de mondes imaginaires intenses, depuis l’enfance. Ils ont plus que les autres besoin de moments de calme pour se reconnecter à eux-mêmes, sinon ils éprouvent un sentiment d’aliénation et d’épuisement rapide. Ils ont du mal à se supporter en permanence dans les situations de groupe, et le besoin de se mettre régulièrement à l’écart : lors de vacances en famille, ils aspirent à se retrouver régulièrement tout seuls pour aller se balader, ou lire tranquillement dans leur coin. D’où la fréquence dans leurs rangs d’artistes et de poètes, qui sont à peu près tous des hypersensibles. Ce qui parfois en conduit quelques-uns jusqu’à la maladie psychique. Car il existe aussi une face sombre à l’hypersensibilité : le surrisque anxieux et dépressif.

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#37565
La poétesse galloise Gwyneth Lewis décrit ainsi sa propre fragilité : « Depuis mon enfance, je manque d’un épiderme émotionnel. C’est bon pour mon travail d’écrivain – je ressens tout très fort – mais mauvais pour mon équilibre quotidien. » Un peu plus loin dans l’entretien, Lewis précise : « Même s’il était prouvé que les antidépresseurs affectent ma créativité, je préférerais les continuer. Quand on a été un zombie pendant des mois, se remettre à écrire grâce à eux tient du miracle. Et le fait de pouvoir écrire est pour moi plus important encore que la qualité de ce que je peux écrire… » Elle sait de quoi elle parle, elle qui eut à souffrir d’épisodes dépressifs très sévères.

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#37566
Il existe en effet une influence des moments de la journée sur nos états d’âme. Dans une étude où on demandait à des volontaires de noter régulièrement pendant plusieurs jours leurs niveaux de calme et d’énergie à différents moments de la journée, on s’apercevait ainsi qu’un même problème personnel (soucis de couple, difficulté à perdre du poids…) était évalué comme plus sévère l’après-midi que le matin. Pourquoi ? Parce qu’en général, en fin de matinée, notre niveau de calme et d’énergie est optimum. Par contre, en fin de journée, nous avons davantage de tension accumulée (moins de calme), et aussi moins d’énergie (la fatigue commence à se faire sentir). Dans la même étude, le fait de considérer son problème après avoir effectué une marche rapide de dix minutes le faisait, là encore, envisager comme moins difficile à résoudre. Dans les deux cas, on s’apercevait que ces modifications favorables du jugement correspondaient (ce dont les participants n’avaient pas conscience) à des niveaux d’énergie et de calme plus élevés.

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#37568
Chez les sujets sans problèmes particuliers, il existe une corrélation directe entre le nombre de pas de marche effectués chaque jour et le sentiment d’énergie et de bonne humeur. Environ dix minutes de marche rapide suffisent à élever notre bien-être, et l’effet dure environ quatre-vingt-dix minutes. De manière plus fine, il semble que l’exercice augmente les états d’âme positifs et les normalise, et diminue aussi, moins nettement, les états d’âme négatifs. Peut-être est-ce pour cela d’ailleurs que les bénéfices de la marche ne nous apparaissent pas de manière nette : lorsque nous allons mal (états d’âme négatifs), notre attente est que les états d’âme négatifs diminuent nettement et rapidement. C’est à cela que nous sommes attentifs, plus qu’à l’augmentation de nos états d’âme positifs, moins facile à percevoir, car plus subtile.

Christophe André
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#37569
Enfin, selon certains chercheurs, la diminution des sucres rapides dans l’alimentation pourrait favoriser la diminution des symptômes dépressifs.

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#37570
Ainsi, un effort habité est plus agréable et plus efficace qu’un effort vide de sens. C’est l’histoire des tailleurs de pierre, que l’on attribue souvent à Charles Péguy : au Moyen Âge, trois hommes cassent des pierres. Le premier a l’air malheureux et répond au passant qui l’interroge : « Je ne sais rien faire d’autre que ce dur métier. » Le deuxième a l’air indifférent, et dit : « Je fais mon travail pour nourrir ma famille. » Le troisième sourit en répondant : « Je participe à la construction d’une cathédrale. » Si nos modernes études disent vrai, il a dû vivre un peu plus vieux et un peu plus heureux que ses collègues…

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#37572
Si nous ne comprenons pas nos états d’âme, nous serons ballottés et malmenés par eux. Nous réagirons, sous leur emprise, comme des enfants. Au lieu d’être une richesse, ils seront une entrave ; au lieu de nous aider, ils vont nous embrouiller. Ce qu’on appelle maturité repose, bien plus que sur nos compétences intellectuelles, sur cette dimension émotionnelle, cette capacité à percevoir et pacifier nos mouvements intérieurs.

Christophe André
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#37573
Ne pas clarifier ainsi un état d’âme préoccupant, c’est un peu comme ne pas raccrocher son téléphone après une communication : la ligne sera ensuite occupée et indisponible pour d’autres appels…

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#37574
Désirer rester calme lors d’un conflit suppose de placer son bien-être et le respect d’autrui plus haut que la défense de ses intérêts ; souhaiter ne pas se rendre malade d’angoisse à propos d’un travail en retard implique d’avoir placé sa santé au moins aussi haut que sa réussite professionnelle ; faire le choix d’une vie heureuse nécessite un certain nombre de renoncements à d’autres formes de satisfactions (financières ou narcissiques), qui vont donner du plaisir mais pas de bonheur.

Christophe André
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#37575
De manière générale, cette sous-estimation du bénéfice émotionnel des situations que nous rencontrons est un classique en psychologie sociale : nous surévaluons notre stabilité et notre imperméabilité à l’environnement, et nous nous voyons beaucoup plus imperturbables que nous ne le sommes ! En réalité nous sommes perturbables, immensément : autant le savoir et l’accepter…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37576
La maladie matérialiste. L’impact psychologique de ces puissants mécanismes est discret, car progressif, mais palpable : en gros, nous sommes peu à peu transformés en imbéciles impulsifs. On pourrait appeler cette maladie de civilisation qui nous frappe la maladie PAZAS : pléthorite abrutissante zappogène autocentrée et stressante. Nous y sommes : obèses de biens, de nourritures, d’objets ; diminués dans notre lucidité et notre liberté ; tentés de passer à autre chose dès qu’un problème survient – aller voir si j’ai un mail, ou s’il y a un truc à manger, ou faire un peu de shopping pour me changer les idées ; centrés sur nous – « je le vaux bien », « je ne dois jamais attendre ni ne rien faire », « je suis formidable, puisque les animateurs et les politiques me le répètent à la télé » ; et, finalement, stressés, malheureux, frustrés, dépendants, ne comprenant plus rien à nous-mêmes. Et fonçant à nouveau dans de mauvaises réponses que nous tendent les marchands : consommant pour nous soigner… Nous devons prendre conscience que la profusion qui nous entoure est débilitante : elle diminue nos capacités intellectuelles et affectives. Elle canalise nos énergies vers de l’inutile et du stérile. Le shopping, qui est souvent la distraction favorite de beaucoup de personnes, ne nous enrichit pas en termes de développement personnel, c’est le moins qu’on puisse dire. Au contraire. Passer par exemple beaucoup de temps à chercher la « bonne affaire » et le « meilleur prix » n’est rien d’autre qu’une déperdition d’énergie pour des décisions ultérieures plus importantes. Cette profusion d’objets, d’activités, de possibilités, qui ressemble à une richesse, peut en fait aboutir à une déconstruction de nos capacités mentales, par surstimulation, dispersion et vol d’attention. Le matérialisme nous empêche de pratiquer les états de concentration, de réflexion, d’intériorisation : par le zapping (choix multiples et sans efforts), par l’accès à des activités à implication intérieure nulle (jeux vidéo, musique à flots continus). Nous sommes soumis à des vols incessants de notre attention : pubs dans les lieux publics et durant les émissions télé, interruptions par mails, téléphones, SMS. La pub nous fait croire que ce sont des liens, pour nous vendre des machines à soi-disant créer du lien. Mais, à un certain stade, ce sont des chaînes de vide, les conversations au portable dans les lieux publics le montrent.

Christophe André
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#37577
Un exemple de cette pollution invisible : la multiplication des plans à la télévision. La vitesse des images, la multiplication des plans obéissent à une logique marchande (garder les téléspectateurs captifs pour préserver l’audience, c’est-à-dire les revenus liés à la pub). Il existe un mot – le zapping – pour désigner ce que craignent les chaînes, mais pas de mot pour cette multiplication des plans – le fragmenting-stupidizing ? C’est d’autant plus pernicieux, car ne pas nommer le mal, c’est risquer de ne pas le reconnaître. À la sortie, une simplification inutile de la pensée, et un appauvrissement ; non que le long et le complexe soient toujours plus riches, mais ils sont parfois nécessaires. Et, encore et toujours, cette sale habitude de ne pas fixer notre pensée, de ne pas muscler notre concentration. De devenir des instables psychiques, des agités du bocal, des handicapés de l’introspection et de la réflexion (un tout petit peu) approfondie.

Christophe André
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#37578
Une manière peu efficace et coûteuse de prendre soin de soi : remplir nos cerveaux de vide, nos estomacs de saletés et nos armoires d’inutilités, pour pallier les fluctuations de nos états d’âme. Mais pourquoi ça marche aussi bien ? C’est le génie du marketing et de la pub : ces métiers attirent des gens brillants, que l’on paie très bien, beaucoup mieux par exemple que des instituteurs, dont le travail est pourtant infiniment plus utile. Mais ça marche aussi parce que ces messages (« Ne vous souciez pas, achetez ça ») se nichent dans nos besoins psychologiques de « philtres d’oubli » : la vie est souvent dure, l’oublier parfois nous fait du bien. Mais ne pas vouloir le voir, qu’elle est dure, nous met en danger moral, alors que l’accepter pour l’affronter différemment peut sauver nos âmes.

Christophe André
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#37579
Dans une intéressante étude de suivi sur dix-neuf ans, auprès d’environ douze mille personnes, on a pu montrer que plus quelqu’un exprimait des valeurs et des objectifs matérialistes à un moment donné, plus, lorsqu’on évaluait ce qu’était devenue sa vie quelque vingt ans après, on retrouvait de dégâts en termes de qualité de vie privée et de sentiment de bonheur.

Christophe André
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#37580
La facilité, la rapidité, la dispersion, l’opulence bloquent en nous les expériences de lenteur et de réflexion, même douloureuses : elles entravent notre sentiment d’identité, peut-être illusoire mais précieux, nos capacités de réflexion sur nous-même et de régulation de nos états d’âme. C’est alors le grand désarroi : nos états d’âme sont dispersés, déboussolés, superficiels, insatisfaits, dépendants de tous les distracteurs marchands de nos environnements. Ce n’est pas une richesse mais une pollution, un envahissement de nos esprits, et pas seulement de nos comportements de consommateurs. Cela ressemble à ce qui se passe pour les plastiques ou les pesticides : ça s’accumule doucement en nous.

Christophe André
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#37581
Le matérialisme nous arrache à ce qui fait notre identité et notre humanité : l’alarme a été lancée par les poètes il y a longtemps. Mais on n’écoute jamais les poètes. Voici ce qu’écrivait Stefan Zweig au sujet de Rilke : « Il me paraît merveilleux que nous ayons eu devant les yeux, au temps de notre jeunesse, de tels poètes. Mais je me le demande avec une secrète inquiétude : des âmes aussi totalement consacrées à l’art lyrique seront-elles possibles à notre époque, avec les conditions nouvelles de notre existence, qui arrachent les hommes à tout recueillement et les jettent hors d’eux-mêmes dans une fureur meurtrière, comme un incendie de forêt chasse les animaux de leurs profondes retraites ? » Ou notre cher Thoreau, qui partit vivre un an dans les bois à Walden : « Je pense que notre esprit peut être sans cesse profané par le fait d’assister régulièrement à des choses triviales, de sorte que toutes nos pensées seront teintées de vulgarité. » Et aussi : « Une fois que l’homme s’est procuré l’indispensable, il existe une autre alternative que celle de se procurer les superfluités ; et c’est de s’aventurer dans la vie présente. » Ou encore Nietzsche : « Toutes les institutions humaines ne sont-elles pas destinées à empêcher les hommes de sentir leur vie à cause de la dispersion constante de leurs pensées ? ».

Christophe André
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#37582
Qu’auraient-ils dit de notre époque ? Les poètes et romanciers ont comme d’habitude vu le problème avant les autres. Il est là, maintenant, énorme, autour de nous et en nous. C’est, comme le notait Cioran : « Le cauchemar de l’opulence. Accumulation fantastique de tout. Une abondance qui inspire la nausée… ».

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#37583
Gavés mais carencés en vraies nourritures. Travailler plus : pour voir moins ses enfants, son conjoint, ses amis ? Gagner plus : pour acheter des choses dont on n’a pas besoin ? Mettre de la musique partout : pour oublier définitivement ce qu’est le silence ? Dans toutes les maladies de pléthore, il y a des carences cachées : par exemple, les personnes obèses sont souvent carencées en vitamines liposolubles, en folates, en zinc. Nos âmes aussi sont carencées, alors qu’elles ont l’impression d’être nourries et stimulées. Les modes de vie matérialistes provoquent un détournement des nourritures de base dont nous avons besoin. Pas nécessaire d’être un hypersensible pour avoir besoin de silence, de calme et de réflexion : tous les humains en ont besoin. Pourtant, aujourd’hui, trouver le silence doit être un choix délibéré, une décision à prendre et surtout à imposer dans notre quotidien.

Christophe André
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#37584
Nous cherchons quelque chose et croyons le trouver dans ce qu’on nous met sous les yeux : on achète un 4 × 4 pour satisfaire notre besoin de liberté ou de reconnaissance. Un beau canapé parce que nous désirons de l’amitié et du temps pour discuter avec nos proches. Des produits de beauté très coûteux pour se sentir bien dans notre corps. Des jouets inutiles pour montrer à nos enfants que nous les aimons. Mais sommes-nous bien sûrs que ces achats vont ajouter à notre bonheur, le permettre, le faciliter ? Si c’était le contraire ? S’ils le fragilisaient ou l’empêchaient ? Le mode de vie matérialiste fait exactement cela : il nous refile sa camelote, dans le nid de nos vrais besoins. Ce système a compris que les humains ont besoin de liens, alors il essaie de transformer les lieux de consommation en « lieux de convivialité ». On parle parfois, à propos des supermarchés et grands magasins, de « temples de la consommation ». En fait, ce ne sont pas des temples, mais des agoras, des forums. C’est pire. Au moins dans les temples ne viennent prier et communier que les fidèles ; mais tout le monde va causer au forum…

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#37585
Notre pseudo-liberté matérialiste est celle de bêtes asservies. Nous sommes devenus des animaux d’élevage, ou de zoo. Nourris, gavés, soignés, mais déambulant tristement dans nos cages, névrosés. Et psychologiquement fragiles.

Christophe André
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#37589
Inutile d’idéaliser le passé : les sociétés d’autrefois avaient aussi leurs défauts, elles pouvaient abrutir d’ennui et de monotonie, étouffer les individus sous les contraintes collectives (famille, voisinage, société). Mais aujourd’hui, les défauts sont inverses : surstimulation et phobie de l’ennui, survalorisation de la personne au détriment du groupe. Il nous faut donc inventer de nouvelles formes de société, au lieu de subir l’actuelle ou d’aspirer à revenir vers l’ancienne. Et pour cela, il faut progresser intérieurement : c’est lorsque le progrès matériel va plus vite que le progrès psychologique et spirituel que les humains souffrent. Lorsque les plus gros investissements des sociétés sont ceux qui sont destinés à produire plus et à faire consommer plus, sans qu’il y ait en face d’investissements destinés à accroître l’équilibre personnel des personnes, tout le monde est en danger moral. Alors, il faut lutter et grandir dans nos têtes et dans nos comportements…

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#37590
Si vous avez la sensation de manquer de temps, ce n’est pas seulement que vous vous y prenez mal (ce qui est possible), mais peut-être aussi que vous avez réellement trop de choses à faire ! Nous devons comprendre qu’un des facteurs de bien-être les plus puissants qui soient est le sentiment d’avoir du temps devant soi, pour faire ce qu’on aime faire, ou ne rien faire du tout.

Christophe André
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#37592
Un de mes écrivains préférés, Joseph Delteil, a publié un petit livre intitulé La Cuisine paléolithique en 1964, soit il y a près de cinquante ans. C’était l’ère du matérialisme naissant et confiant dans sa capacité à créer des lendemains meilleurs. Delteil, petit papy à l’œil vif et à la vieille veste de velours élimée et rapiécée, qui vivait joyeusement de peu près de Montpellier, y écrivait, étonnamment prophétique : « La civilisation moderne, voilà l’ennemi. C’est l’ère de la caricature, le triomphe de l’artifice. Une tentative pour remplacer l’homme en chair et en os par l’homme robot. Tout est frelaté, pollué, truqué, toute la nature dénaturée. Voyez ces paysages métallurgiques, l’atmosphère des villes corrompues (les poumons couleur de Louvre), les airs et leurs oiseaux empestés d’insecticides, les poissons empoisonnés jusqu’au fond des océans par les déchets nucléaires, partout la levée des substances cancérigènes, la vitesse hallucinante, le tintamarre infernal, le grand affolement des nerfs, des cœurs, des âmes, à la chaîne, à la chaîne vous dis-je… telle est la vie industrielle, la vie atomique. Le grand crime de l’homme moderne ! oui ceci n’est qu’un cri : Au feu ! Au fou ! À l’assassin ! » Un autre de mes auteurs favoris, Louis-René Des Forêts écrivait quant à lui : « La surabondance n’a rien à voir avec la fertilité. » Rien à rajouter.

Christophe André
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#37593
Tu vas continuer, maintenant. Maintenant tu as compris et accepté que ta vie se passe ici, à cet instant précis. Que tu dois t’aimer, que tu peux aimer les autres, et être aimé d’eux, sans trembler ni t’agripper. Que le bonheur est tragique, intermittent et indispensable. Que tu peux parfois être sage et parfois non. Tu peux y aller. Tranquille.

Christophe André
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#37594
Bien sûr qu’il faut dans nos vies faire et agir. Mais sommes-nous bien conscients de tous ces moments où faire c’est fuir ? De ces moments où nous nous lançons dans des actions non pour construire mais pour éviter d’éprouver ?

Christophe André
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#37595
La vie, c’est ce qui s’écoule pendant que vous faites des choses inutiles.

Christophe André
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#37596
On peut se réfugier, aussi, dans des ruminations ou des rêveries ou des espoirs, vivre entortillé dans nos chimères et nos attentes, sans jamais sortir prendre l’air dans la vie légère ; légère parce que sans attente justement, sans intention autre que ressentir et observer ce que c’est que d’être vivant et présent.

Christophe André
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#37597
On peut être victime de vols répétés de conscience. Notre époque est caractérisée par les « vols d’attention » : les interruptions de la publicité, des coups de téléphone, des SMS ou des mails, mais aussi l’habitude de la « disponibilité », devenue une valeur moderne. L’indisponibilité et le retrait peuvent certes poser des problèmes, mais être toujours prêt à tout interrompre pour répondre à toute forme de sollicitation, n’est-ce pas aussi absurde ? Cela peut aboutir en tout cas à la fragmentation de nos capacités attentionnelles : la possibilité de « zapper » si quelque chose ne nous convient pas et de nous changer ainsi les idées va finalement conduire à ne plus avoir d’idées du tout. Nous en avons parlé, ces démolitions constantes de nos capacités attentionnelles induisent une perturbation de nos équilibres intérieurs et de nos états d’âme, qui finit par nous être nocive.

Christophe André
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#37598
Souvent, nous passons à côté de nos vies. Si souvent, il nous arrive de ne pas être dans ce qu’on fait ! D’être à côté… À côté de nos bonheurs. Tous ces dimanches où on pense au lundi et où on ne profite pas du repos et de ses proches. Puis ces lundis où l’on regrette de ne pas avoir savouré son repos, et où du coup on n’est pas disponible pour ce qu’on a à faire ; alors on le fait avec difficulté et sans plaisir. Ce qui entraîne des retards, des complications, du déplaisir, et de nouveaux états d’âme désagréables. À côté des petites choses pas importantes. Toutes les fois où on n’écoute pas ce qu’on nous dit, où l’on est absent, ailleurs. Toutes les fois où l’on ne sait plus où on a rangé quelque chose. Toutes les fois où on est allé quelque part sans y penser, en « pilotage automatique ». On arrive et on s’aperçoit qu’on a marché ou conduit dans un état second, dans un autre univers : pas dans la réalité mais dans nos états d’âme. À côté des moments importants. Combien de mariages, de cérémonies, de « grands moments » traversés dans un état second, où on se focalise sur tout sauf sur l’essentiel : l’instant présent. Parce que notre esprit est encombré de tant de choses et de soucis que l’on n’est capable ni de contrôler ni d’écarter. Par moments, c’est presque toute notre vie qui prend l’habitude de s’écouler comme ça, hors de nous, à côté de nous, devant nous. Et nous suivons en trottinant derrière, en essayant de ramasser les morceaux, et d’en faire une construction cohérente après coup, en recollant souvenirs, photos, et réflexions éparses. Nous sommes victimes de la rémanence : l’instant d’avant dévore l’instant présent. Ou de l’anticipation et de l’inquiétude : l’instant d’après occupe nos pensées. L’instant présent n’existe plus : noyé dans le néant. Mais passer à côté du présent, est-ce que ce n’est pas passer à côté de sa vie ?

Christophe André
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#37599
On peut refuser de laisser faire la vie. Et s’enfermer dans un problème, ou pseudo-problème, et ne pas vouloir lâcher prise tant qu’on ne l’a pas résolu. Nous appelons cela la « persévérance névrotique », ce qui est un terme psychologique assez explicite. En voici un petit exemple donné par un psychologue de mes amis dans son livre sur la conscience, justement : chercher ses clés pendant deux minutes est un comportement adapté ; les chercher pendant deux heures l’est beaucoup moins. Et les chercher toute la journée ne l’est plus du tout. Il vaut mieux alors accepter qu’on les a perdues, laisser faire le temps ou s’orienter vers une autre solution que continuer de chercher. Nous transformons ainsi nombre de difficultés qui devraient rester bénignes en grands problèmes existentiels. Ces clés perdues deviennent l’incarnation transitoire de ma malchance et de ma destinée d’humain malheureux et victime d’un destin contraire. Mais la vie peut continuer, même si nous n’avons pas réglé tous nos problèmes !

Christophe André
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#37600
Et puis, nous l’avons vu, on peut vouloir simplement refuser la douleur de certains moments de vie. Refuser d’éprouver l’expérience de la souffrance, ou du désagréable, simplement. Alors, face aux états d’âme pénibles, on peut réagir comme un chirurgien : pour supprimer le problème on découpe large et on enlève tout. Pour ne pas ressentir cette tristesse ou cette inquiétude en moi lorsque je me laisse un peu aller, ou lorsque je ne fais rien, j’évite de me laisser aller, ou de ne rien faire. Pour ne pas ressentir le désagréable, je m’efforce de ne plus rien ressentir du tout. Je me blinde, je me durcis. Je me prive du goût de la vie parce qu’il a été, autrefois, amer. Ces fuites ne changeront pas nos existences, si toutefois elles doivent l’être. Elles nous feront juste patienter, tenir, jusqu’à la mort – certains pessimistes diront que ce n’est déjà pas si mal – ou jusqu’à une explosion ultérieure, une crise, une dépression. Pas présents, pas conscients, comment pourrions-nous alors être heureux ? Au mieux, être parfois soulagés, satisfaits, pas trop malheureux…

Christophe André
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#37601
Conséquences : « Cette vie que tu vis, ce n’est qu’une vie morte » La liste des maux est longue. Avoir le sentiment récurrent de ne pas être en phase avec sa vie, pas « bien dans sa vie ». Être parasité par l’intuition qu’on serait mieux ailleurs, mais sans savoir vraiment si on y serait mieux (et même : en sachant bien que non, on ne serait pas mieux ailleurs). Avoir toujours envie de s’évader : mais c’est nous-mêmes qui nous sommes enfermés en nous-mêmes ! Nous ne ferons que déplacer ailleurs notre cage. Fitzgerald disait à ce propos : « La célèbre “Évasion” ou “la fuite loin de tout” est une excursion dans un piège. » Avoir l’impression de ne jamais être à sa place, de ne pas arriver à la trouver. Et finir par se demander s’il en existe une pour nous. Être habité, si souvent, par des états d’âme d’ennui, d’incomplétude, d’insatisfaction. Avoir des sentiments de vide. Mener les « existences de calme désespoir » dont parlait Thoreau. Être souvent plongé dans la morosité, dans les cafards liés à un quotidien dont on ne voit pas l’intérêt, dans la grisaille.

Christophe André
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#37602
Se noyer dans des souffrances diffuses. Des douleurs morales réelles, mais sans causes claires ou nettes. Les plus difficiles à aider en psychothérapie. Peut-être que la psychanalyse est la seule à pouvoir les améliorer, si son principe en est accepté par la personne : dans l’analyse on ne sait pas où on va, ni comment, ni si on sera soulagé à la sortie. Même si, parfois, la psychanalyse noie au contraire les personnes en elles-mêmes. Même si parfois on a l’impression que c’est juste le temps passé qui a apporté le soulagement, lorsqu’il est venu ; et qu’il s’agit, davantage que d’une libération, d’une usure et d’une érosion des douleurs. Mais bon, c’est tout de même un soulagement… Se sentir submergé. Par des ondes de désespoir, des crises d’angoisse, des bouffées de colère, venues du fond de nous, c’est-à-dire d’on ne sait où. Puis ça passe, mais on n’a pas bien compris pourquoi, et on sent bien que rien n’a été vraiment résolu. On en sort juste soulagé, avec le sentiment flou qu’une prochaine vague va arriver et à nouveau nous recouvrir, nous étouffer. Alors, nous nous débattrons, nous fuirons dans l’action, le travail, l’alcool, ou d’autres choses qui nous calment ou détournent notre attention. Puis ça recommencera encore et encore. Nous mènerons une existence de Sisyphe, pas tranquille et pas content d’être vivant, finalement.

Christophe André
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#37603
On peut aussi perdre son efficacité, son rendement au travail, ou dans sa capacité à faire face aux problèmes quotidiens, et à les régler. Mais au regard de tout ce que nous venons d’évoquer plus haut, on s’en fiche un peu de l’efficacité, non ? En tout cas, on ne va pas en faire une valeur absolue, de cette efficacité sans âme et sans joie : nous préférerions une efficacité qui incarne et reflète notre plaisir de vivre, notre contentement d’être quelque chose plutôt que rien, d’être vivant plutôt que mort. Car le pire, c’est la vie sans conscience. Et le pire de ce pire : les moments de prise de conscience d’une vie sans conscience. La modernité l’aggrave, mais il s’agit en réalité d’une éternelle difficulté de la vie humaine, et c’est pour cela que les vers du poète romain Lucrèce, contemporain de Spartacus, résonnent encore en nous : « Cette vie que tu vis, ce n’est qu’une vie morte. » Tout comme résonnent en nous ces mots du contemporain Éric Chevillard, lorsqu’il parle de ces « jours pour rien », ces jours « où les nerfs ne sont pas dans les prises, où je peine à soulever une aile. Au soir, avant de s’évanouir à son tour, mon ombre signe pour moi d’une croix la feuille de présence ». Pourquoi ne sommes-nous pas présents, pourquoi ne vivons-nous pas plus conscients ? Pourquoi tous ces états d’âme amers, comme autant de réveils et de retours de manivelle liés au sentiment de mener une vie vide ?

Christophe André
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#37604
Accepter ce qui est, habiter le réel ; puis décider et agir. Mais pas : refuser ce qui est, rêver de ce qui n’est pas, fuir le réel ; puis souffrir et subir ou agir de manière absurde et impulsive.

Christophe André
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#37605
On peut aussi ouvrir les yeux de manière moins douloureuse, au travers d’événements de vie simples et naturels : avoir des enfants, voyager, rencontrer, aimer… Ces moments de vie répétés, acceptés, savourés, nous aident à comprendre ce qui importe, non pas de manière intellectuelle, mais expérientielle. Ils ouvrent notre conscience, la décadenassent. Et l’éveillent à ce qui est fondamental. Et parfois, des instants encore plus simples, déchirent le voile de manière encore plus radicale. Comme des évidences douces et brutales à la fois…

Christophe André
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#37606
Tu marches dans un jardin public, un matin d’hiver, en allant à ton travail, avec tes soucis de santé. Tu croises deux femmes qui courent en bavardant, gaiement, l’air en pleine santé. Tu es soudain submergée sous le déferlement de tes états d’âme : envie (« elles sont en bonne santé, elles »), irritation (« deux femmes au foyer qui n’ont rien d’autre à faire que s’occuper d’aller bien »), tristesse (« si seulement je pouvais ne pas être malade »), inquiétude (« comment ça va finir ? »). Tout commence à tourner en boucle, mais tu continues à marcher, à respirer l’air froid, à t’imprégner des odeurs du parc et de la ville, toutes mélangées. Tu ne cherches pas à lutter contre tes états d’âme mais tu attends juste qu’ils passent. Et tout s’éloigne sans que tu comprennes ni pourquoi ni comment. La paix est revenue juste parce que tu es revenue habiter l’instant présent.

Christophe André
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#37608
Tu salues une amie qui s’en va en taxi, sous la pluie. Tu te sens tout à coup touchée par la densité de l’instant, totalement dans le présent. Tu entends tous les bruits de la rue, tu sens toutes les gouttes de pluie, tu vois tout sans rien freiner ni filtrer par pensées ou jugements. Tu es juste en train de saluer cette amie qui part. Tu observes son visage qui te sourit derrière la vitre criblée de gouttes de pluie, tu espères que tout ira bien. Le temps s’écoule au ralenti. Tu sens brutalement l’immense fragilité de nos existences, l’immense importance des liens et de l’affection. Tu as envie de courir après le taxi pour l’embrasser et la saluer encore, mieux que tu ne l’as fait. Mais tu ne te sens pas inquiète ni mélancolique. Tu as juste compris quelque chose. Que tu vas peut-être oublier dans les cinq minutes qui suivent, tant tu sais que la journée sera chargée. Mais tu es tranquille, car la trace posée en toi par cet instant est indélébile. Tu le sais.

Christophe André
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#37609
À l’hôpital. Je fouille dans la poubelle des secrétaires, où j’ai jeté l’enveloppe d’un courrier de patient. Après l’avoir lu dans mon bureau, je me suis aperçu qu’il n’y avait pas d’adresse sur la lettre, qui demande une consultation. Les patients distraits ou perturbés font parfois ça. Vite, récupérer cette adresse sur l’enveloppe, impossible de laisser ce courrier triste sans réponse ! Je fouille, je remue, je retourne les vieux papiers, un ou deux mouchoirs jetables, des gobelets de café un peu collants. Pfff… Il y a plein d’enveloppes, évidemment, mais où est la mienne ? Les infirmières et secrétaires se moquent gentiment de moi, plongé dans la poubelle. Ça me fait rire aussi, mais je me sens parfaitement à ma place en train de faire ça. Bizarrement, j’entends une petite voix qui me dit : « Tout est OK, tu fais exactement ton boulot, et tu es exactement à ta place, à farfouiller dans les poubelles de la souffrance ; cherche encore un peu.

Christophe André
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#37610
Tu penses à Pascal et à son Mémorial, ces notes fiévreuses qu’il portait toujours sur lui et qu’on a retrouvées après sa mort dans la doublure de son vêtement. Tu penses à ce moment de feu et de foi qu’il a connu, le lundi 23 novembre 1654, « entre 10 heures et demie du soir jusques environ minuit et demi ». Frappé par la grâce, « “Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob”, non des philosophes et des savants. » Pas de cogitations ni de réflexions, mais une révélation, « Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. » Pascal qui tombe à genoux sous la violence de ce qu’il est en train de vivre et de comprendre. « Joie, joie, joie, pleurs de joie. » Qui palpite et qui comprend, « Renonciation totale et douce. »

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37611
Je me souviens du choc à ma première lecture de la Lettre de Lord Chandos, célèbre nouvelle de l’écrivain autrichien Hugo von Hofmannsthal, qui raconte l’histoire d’un homme expliquant à un ami (le philosophe Francis Bacon) pourquoi il s’est retiré du monde, a renoncé à écrire et plus encore. « Toute l’existence m’apparaissait autrefois, dans une sorte d’ivresse continuelle, comme une grande unité… » « Depuis lors, je mène une existence que vous aurez du mal à concevoir, je le crains, tant elle se déroule hors de l’esprit, sans une pensée. […] Il ne m’est pas aisé d’esquisser pour vous de quoi sont faits ces moments heureux ; les mots une fois de plus m’abandonnent. […] Un arrosoir, une herse à l’abandon dans un champ, un chien au soleil, un cimetière misérable, un infirme, une petite maison de paysan, tout cela peut devenir le réceptacle de mes révélations […], la source de ce ravissement énigmatique, silencieux, sans limite. » Tant d’analyses ont été faites à l’infini sur la portée de ce texte (notamment l’incapacité du langage à traduire la complexité de toute forme d’expérience) qu’il est certainement, comme pour Pascal, réducteur de n’en extraire que ces quelques mots. Mais ils disent tant, et avec tant de force !

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37612
La pleine conscience consiste à être présent à l’expérience du moment que nous sommes en train de vivre, sans filtre (on accepte ce qui vient), sans jugement (on ne cherche pas si c’est bien ou mal, désirable ou non), et sans attente (on ne souhaite pas que quelque chose arrive ou se passe). La pleine conscience est donc une simple présence – juste être là –, mais si difficile à atteindre… En général notre attention n’est que partiellement consacrée à ce que nous sommes en train de vivre. Et nous faisons des efforts pour nous concentrer sur certains points (qui nous semblent alors importants) plutôt que sur d’autres (que nous jugeons secondaires).

Christophe André
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#37613
Au moment où je vais peut-être mourir, qui peut dire s’il n’est pas suprêmement important d’écouter une dernière fois le murmure du vent ?

Christophe André
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#37626
Ne vous faites pas de mal. Jamais. La vie s’en occupe…

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37627
Car si la méditation nous intéresse tant, nous les soignants, c’est qu’elle offre à ses pratiquants de multiples bénéfices. Le mot d’ordre officiel des différentes écoles est en général de ne rien attendre de la méditation. De simplement la faire et voir ce qui se passe. J’ai toujours eu du mal avec ce néant des attentes. Du moins sur le long terme. Sans doute suis-je trop occidental. J’ai bien compris qu’il ne faut rien attendre d’une séance en particulier (à la différence de la relaxation dont on attend qu’elle nous détende) : le plus souvent, on ne se sentira pas plus clair ou plus serein ensuite. Parfois, au contraire, les séances de méditation n’auront révélé qu’une chose : notre difficulté à méditer à ce moment. Mais ce n’est pas grave : il fallait le faire, comme le musicien fait ses gammes, le sportif ses exercices, le moine ses prières, sachant que cela a un sens. Je reconnais même que renoncer à des attentes immédiates est très pédagogique pour nous autres Occidentaux. Et que tolérer, ou plutôt pleinement accepter, les séances difficiles ou qui nous paraissent « ratées » augmente probablement notre tolérance à l’imperfection et aux échecs dans notre vie en général. Ce qui, vu le monde dans lequel nous évoluons, est une hygiène salutaire, et une vaccination vitale.

Christophe André
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#37628
La méditation nous aide à comprendre la nature de la pensée. En réalité nous ne pensons pas : notre esprit produit des pensées, que nous choisissons et sélectionnons, ou qui s’imposent à nous. Nous ne faisons que subir et choisir. La production nous échappe, nous n’arrivons qu’en aval. Méditer nous rend plus conscients de cela : notre cerveau comme un robinet à pensées, ouvert sans cesse pour le meilleur et pour le pire. Et méditer nous aide donc à mieux choisir, et moins subir, parmi le flot de ces pensées. Plus la pratique méditative est régulière, moins il existe de tendances à la rumination.

Christophe André
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#37629
La méditation enrichit les états d’âme et aide à leur régulation. La méditation aide à la prise de conscience de nos états d’âme, à mieux comprendre leurs liens avec nos sensations physiques, à déceler aussi comment nos états du corps (tension, douleur, faim, fatigue) influent sur nos états d’âme. De ce fait la pratique de la pleine conscience peut aider par exemple à la prise de décisions (dans les situations complexes notamment) car elle améliore notre discernement des « marqueurs somatiques », ces petites sensations corporelles à la source de l’intuition. Le petit pincement que l’on ressent lorsqu’on s’apprête à dire oui alors qu’on pense non, ou le malaise face à quelqu’un qui nous ment ou cherche à nous imposer une décision, ou l’inconfort à prendre une décision qui paraît logique mais qui nous met mal à l’aise pourtant : nous pouvons être mieux à même de prêter l’oreille, ou plutôt le corps, à tout cela. De même, il est probable que la méditation, en facilitant les états cérébraux de synthèse, facilite aussi les processus de résolution de problème, conscients et inconscients : ces mécanismes par lesquels, ayant réfléchi tranquillement à une question, la réponse nous arrive un peu plus tard.

Christophe André
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#37630
La méditation permet de meilleures capacités de concentration pour travailler ou réfléchir. Même si cela se situe aux antipodes de ce pour quoi elle a été mise au point : pas du tout pour nous rendre plus performants… Il est probable que la pleine conscience permet de nous amener à plus de créativité, par moins d’autocensure. Qu’elle nous aide à réfléchir portes et fenêtres de l’esprit grandes ouvertes : à tout accueillir avant de décider.

Christophe André
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#37631
La méditation est corrélée au bien-être, et semble associée chez ses pratiquants à une fréquence plus grande d’états d’âme positifs, et moindre de négatifs. Sans doute que la vie en pleine conscience nous aide à mieux ouvrir les yeux sur les petits bonheurs du quotidien. L’effet global sur l’ensemble des états d’âme est d’autant plus intéressant que l’attention sélective au positif n’est pas un objectif de la méditation de pleine conscience, qui prône simplement l’observation et l’accueil de tous les états d’âme : mais cette simple position d’observation bienveillante, qui permet ensuite l’examen et la mise à plat des états d’âme, semble suffisante pour rééquilibrer leur balance de manière favorable. Et la méditation facilite aussi de cette manière les processus naturels de réparation et de digestion de nos souffrances : lorsque nous sommes tourmentés, s’asseoir, fermer les yeux et s’adonner à la pleine conscience de l’instant présent.

Christophe André
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#37632
La méditation facilite le changement d’attitude et de conviction. Parce qu’elle entraîne à l’ouverture, à la curiosité et à l’accueil de ce qui est. Elle facilite la tolérance à la différence et la compréhension d’autrui, mieux que la simple information : car l’information ne marche qu’auprès de gens souples au préalable, réceptifs. Une étude avait ainsi montré qu’une forme particulière de psychothérapie basée sur l’acceptation et la pleine conscience (dont nous avons parlé) permettait de mieux faire évoluer les préjugés.

Christophe André
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#37633
La méditation aide à savourer l’existence. Non seulement parce qu’elle nous rend davantage capables de ne pas nous noyer dans nos ruminations, que nous identifions plus vite. Mais aussi parce qu’elle nous aide à mieux savourer les bons moments, auxquels elle nous rend plus profondément présents. L’étude la plus drôle sur ce thème avait été conduite autour d’une dégustation de chocolat : en rendant les participants plus attentifs à ce qu’ils dégustaient, on leur permettait de ressentir plus de plaisir que ceux à qui on offrait des distractions dans le même temps.

Christophe André
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#37634
Pour initier les patients à la pratique de la pleine conscience, il existe plusieurs protocoles mis au point pour s’adapter au monde de la médecine et de la psychothérapie : il s’agit principalement de la MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction), et de la MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy). Actuellement, ces programmes ont montré une efficacité dans la prévention des rechutes dépressives et des états dépressifs chroniques, ce qui est normal, car ce sont des patients qui sont devenus de grands ruminateurs, et dans la prévention des récurrences anxieuses.

Christophe André
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#37635
Apprendre à attendre : il n’y a pas de temps perdu, que du temps vécu. Au lieu de s’agacer des files d’attente, des salles d’attente, des embouteillages, se dire qu’il n’y a pas de temps perdu, que du temps vécu. Vivre est une chance qui nous a été donnée, et une expérience qui nous sera retirée un jour. Au lieu de vouloir déjà être ailleurs, après, autrement, soyons ici. Pleinement. Dans la file, dans la salle d’attente, désormais, je respire, je sens ce qui se passe dans mon corps. Puisque je ne peux pas « faire » quelque chose, je peux « être » : être là, être ce que je suis, penser à Montaigne et à Goethe et aux autres encore, qui, il y a des siècles, avaient compris cela. Je peux faire autre chose de ma conscience que m’agacer contre l’attente (par exemple si mes mails arrivent lentement ou si ma page Internet met du temps à se charger). Certes, l’impatience des Occidentaux a été un facteur de progrès (quoique…). Mais ces progrès sont allés plus vite que notre sagesse, et ont pris l’ascendant sur nous, nous ont rendus esclaves. Libérons-nous de nos impatiences inutiles. Et gardons les autres, s’il en reste…

Christophe André
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#37636
Présence à la vie quotidienne, aux petits gestes Lorsque je mange, lorsque je fais la cuisine, range, bricole, répare… Ne pas le faire en me disant que je pourrais, au lieu de cela, faire autre chose de mieux, de plus important, de plus urgent. C’est peut-être vrai et, dans ce cas, il y aura un temps pour y réfléchir et décider d’organiser ma vie différemment. Mais, en attendant, inutile de polluer mon présent avec cela. Je me sens vivant. J’habite pleinement ce que je fais en ce moment : je cherche à réduire la place de ce sentiment de faire les choses « en attendant » de pouvoir passer à autre chose. Lorsque je lis son histoire du soir à mon enfant, alors que j’ai encore du travail, des mails, alors que je n’ai pas encore dîné : je me recale ici et maintenant. Je suis avec mon enfant, et ce qui est important c’est que je sois complètement avec lui, pleinement. Que, pendant que je raconte l’histoire, je la raconte vraiment, pour lui. Pas en pensant à autre chose, en espérant être ailleurs. Cet instant, comme tous les instants de vie, est une chance et une bénédiction. Si je ne suis pas présent à ces instants, je les pleurerai plus tard.

Christophe André
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#37637
S’arrêter. Arrêter une activité, comme ça, en plein mouvement. Et observer ce qui était en train de se passer en nous : quel état de notre corps, de nos pensées ? Je m’efforce souvent à cet exercice dans les périodes où je suis sous pression : quand il y a dans ma vie trop de choses à faire, trop de sollicitations auxquelles je me suis engagé à répondre. Comme tout le monde, je me sens étouffer. Alors, lorsque le sentiment d’urgence est au plus fort (« quelques minutes ? quelques secondes ? vite, faire, agir, accélérer, gagner du temps ! »), je m’arrête. Je me force à respirer calmement, à tourner mon esprit vers un détail important : le ciel, les nuages, ma respiration encore, le visage de quelqu’un que j’aime, une pensée issue d’une lecture récente et ce qu’elle a suscité en moi. Je m’arrache à l’urgent pour prendre une bouffée d’important. Puis je me remets à courir, évidemment. Mais je me sens comme une baleine qui a repris son souffle, avant de plonger à nouveau vers les fonds où elle doit aller chercher sa nourriture. S’arrêter pour faire respirer notre esprit, surtout lorsque nous sommes pressés…

Christophe André
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#37645
Repérer le pilote automatique. Je comprends ce qu’il est : c’est ce programme mental qui se déclenche dans les gestes routiniers, dont je peux m’absenter. Pour me brosser les dents, prendre ma douche, accomplir certains trajets, certaines tâches, manger, je n’ai pas besoin de tout mon cerveau. Je peux laisser cela se faire tout seul, en roue libre : c’est le boulot du pilote automatique. Le pilote automatique a des avantages : il est un système d’économie d’énergie par économie d’investissement de conscience. Il est effectivement inutile de mettre toute ma conscience et tout mon cœur, tous les matins, dans le brossage de mes dents (mon dentiste m’a, par contre, expliqué l’importance de les brosser toutes…). Mais il a aussi des inconvénients : il facilite notamment, à certaines périodes, l’ouverture d’un autre programme automatique, celui des ruminations. Si je ne suis pas présent à ce que je fais, dans les périodes de stress ou d’agacement ou de déprime, cela aspire et appelle les ruminations (« Ohé ! Venez ! Il n’y a personne ! La place est libre ! »). Les activités que je conduis en pilotage automatique sont alors envahies de ruminations : je rumine en me brossant les dents, en allant à mon bureau, en travaillant… Le pilote automatique peut aussi me faire m’absenter du présent : alors, je tombe dans l’escalier avec mon plateau parce que je pensais à autre chose, grâce à mon pilote automatique de montée d’escalier ; ou bien je ne sais plus où j’ai mis mes clés, parce que ce n’est pas moi qui les ai posées quelque part, c’est mon pilote automatique de rangement (et il a fait comme il a voulu). La pleine conscience m’incite et m’aide à débrancher régulièrement (pas toujours, mais régulièrement) tous ces programmes automatiques. À choisir, de temps en temps, de me brosser les dents en pleine conscience, de monter l’escalier en pleine conscience, de manger en pleine conscience, etc. À faire vraiment ce que je fais, même si ce n’est que faire la vaisselle. Même pour sortir la poubelle : le faire en pleine conscience, c’est bon pour mon âme.

Christophe André
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#37646
Désobéir aux injonctions inconscientes. De mon passé, de la société. J’apprends à repérer tous les « donneurs d’ordre » tapis en moi. Suis-je obligé de m’énerver et de m’affoler lorsque je ne trouve pas la solution à un problème ? Suis-je vraiment obligé d’ouvrir une revue dans cette salle d’attente ? Obligé de regarder mes mails tous les jours ? De quitter mon travail si tard ? De ne pas « perdre mon temps » ? Pessoa, grand rêveur et grand observateur des mouvements de l’âme humaine, parlait de rester « fidèle à quelque serment oublié » pour décrire ces instants où nous perpétuons des automatismes appris du passé, mais qu’il n’est peut-être plus nécessaire de faire vivre en nous, du moins sous forme d’automatismes, justement.

Christophe André
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#37647
Changer son temps. Pratiquer des cures de lenteur. Comprendre qu’il doit y avoir dans nos vies des périodes de « temps rapide » et d’autres de « temps lent ». Comme nos modes de vie actuels nous imposent souvent le premier, nous accorder le second, régulièrement. Marcher plus lentement dans la rue. S’arrêter plus souvent pour regarder autour de nous. Laisser des temps libres dans nos emplois du temps, et accepter de n’y rien faire.

Christophe André
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#37648
Protéger la continuité de nos expériences. Chaque fois que possible, se méfier des interruptions. Cela concerne souvent l’environnement de travail : ne pas travailler à son ordinateur avec sa boîte à mails ouverte, débrancher son portable. S’accorder dans la journée de travail au moins une période d’une ou deux heures où on ne répond pas au téléphone, ni évidemment aux mails et SMS. On a pu montrer à quel point les interruptions amoindrissent notre efficacité au travail, les comparant même, en termes d’effets sur notre QI, à la prise d’un joint de marijuana. Et, à la différence de la marijuana, les interruptions ont plutôt un effet stressant. S’accorder le luxe gratuit de la continuité.

Christophe André
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#37649
Provoquer de petits décalages dans son quotidien. Par exemple, rester chez soi seul dans une pièce, à un horaire inhabituel, où on n’est en général pas là, ou pas en train de ne rien faire ; ou à un endroit inhabituel de la pièce. Par exemple, seul dans la chambre de ses enfants ; se mettre dans leur lit pour voir ce qu’ils voient au plafond et autour d’eux quand ils se couchent. Ou rester debout en respirant tranquillement, dans l’entrée où on ne fait que passer. Laisser venir les états d’âme : souvenirs, sons, pensées, anticipations, goût du présent et du passé qui se mélangent.

Christophe André
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#37650
Se demander si on a vraiment envie. Vraiment envie de regarder la télé, de lire ce magazine, de reprendre de la nourriture, du vin, du café ? Ou une cigarette ? Vraiment envie, ou juste automatisme, habitude ? Ou besoin, parce qu’on ne se sent pas bien, parce qu’on cherche ainsi, sans trop avoir à y penser, à régler un autre problème, parce qu’on se sent triste, mal, seul, en échec, pas aimé… Ne pas forcément chercher à régler ce problème tout de suite, si on n’en a pas le temps, ou si on sent qu’on va ruminer. Mais réagir pour l’empêcher de prendre le contrôle de cet instant de notre vie. Se dire : non, je n’ai pas envie de ça. Alors, je fais autre chose. Respirer, marcher, par exemple, en pleine conscience. On ne le fait jamais assez.

Christophe André
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#37651
Le ciel, la campagne, les fleuves qui passent, les fontaines, les rivages, les collines et les montagnes, la pluie qui tombe, le vent qui souffle : tout cela nous aide. Aller solliciter plus souvent le pouvoir cicatrisant du lien à la nature. Aller porter sa souffrance (ou sa joie) en offrande à la nature, la diluer dedans. Sans doute que nous confronter à quelque chose d’éternel, qui nous a précédés et nous survivra, mais aussi dont nous faisons partie, dont nous venons et vers quoi nous retournerons, nous aide inconsciemment à recalibrer nos souffrances.

Christophe André
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#37659
Vivre en pleine conscience : il y a quelqu’un là-dedans ? La vie consciente, c’est la vie normale, tout simplement. Mais avec une permanence d’ouverture et de sensibilité. Une permanence d’accueil pour le banal et l’exceptionnel. La vie consciente, c’est la vie maintenant. Compliquée, confuse, imparfaite, bancale. Nous avons parfois tendance à penser que la vie, la vraie, la bonne, ne commence qu’une fois tous nos problèmes résolus. Non, elle est déjà là, sous nos problèmes et nos insatisfactions. Prête à accueillir le bonheur et la grâce. J’aime bien cette phrase de Maître Eckhart : « Dieu nous rend souvent visite, mais la plupart du temps, nous ne sommes pas chez nous… » Je me dis que je peux bien prendre trois minutes, trois fois par jour, pour vérifier où je suis, et pour répondre oui à la question : « Il y a quelqu’un là-dedans ? » Oui, je suis là. Vivant. Présent. Conscient…

Christophe André
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#37661
Nous avons besoin de la douceur et de la force de la compassion. Plus on est lucide sur ce monde, plus on accepte de le voir tel qu’il est, et plus on se rend à cette évidence : nous ne pouvons rencontrer toutes les souffrances que l’on rencontre dans une vie d’humain, sans cette force et sans cette douceur. Cela ne suffira peut-être pas, et il faudra d’autres énergies encore, mais sans l’énergie joyeuse et vivante de la compassion, nous aurons envie de fuir la violence du monde au lieu de nous en rapprocher pour l’adoucir. Toutes les blessures que nous observons autour de nous, toutes celles que les psychothérapeutes recueillent dans le secret de leurs consultations, sont liées au manque d’amour, créées ou amplifiées par lui. Manque de douceur, de compréhension, de gentillesse, de bonté. Manques d’hier, qui nous ont blessés ; manques d’aujourd’hui, que réveillent ces blessures. Leurs guérisons seront liées à toutes les formes et toutes les expressions de la compassion. C’est aussi simple que ça.

Christophe André
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#37662
Disposer de mantras autocompassionnels. Dans les traditions bouddhistes et hindouistes, le mantra est une phrase très ramassée que l’on va répéter régulièrement pour s’en imprégner. C’est un mot issu du sanscrit, qui signifie en gros « outil de protection de l’esprit » (manas : arme ou outil de l’esprit, et tra : protection). Nous pouvons disposer de mantras personnels tels que : « Prends soin de toi », « Ne te fais pas de mal », « Inutile de t’agresser », « Pas de double peine », « Fais ce que tu as à faire », « Ne te déteste pas ». Cela risque évidemment de paraître un peu naïf ou rigide, mais dans la pratique, de telles phrases peuvent représenter des petits automatismes de rappel à l’ordre, lorsque nos démons intérieurs font apparaître à notre esprit des formules opposées, des « mantras autodestructifs » : « Tu es nul », « C’est la catastrophe », « Tu n’y arriveras jamais », « Tu ne le mérites pas », etc. Avoir régulièrement fait tourner ces mantras autobienveillants dans notre esprit lors d’exercices de méditation peut aussi aider à les automatiser. Non pas pour devenir des robots, mais de manière que les autres automatismes, ceux que notre passé a déposés en nous, se trouvent limités, le temps que nous puissions y réfléchir calmement. Cette approche n’a été à ma connaissance l’objet d’aucune étude de validation (ou d’invalidation) scientifique. Simplement, nombre de patients semblent l’avoir spontanément adoptée : « Maintenant, j’ai une petite voix dans la tête qui me dit : ne te fais pas de mal. » Victor Hugo avait dit cela de manière plus solennelle dans Les Contemplations : « De quelque mot profond tout homme est le disciple. »

Christophe André
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#37664
Disposer – aussi – de mantras hétérocompassionnels Dans la même démarche, pour peu à peu antagoniser nos réflexes à juger ou agresser, se rappeler : « Les gens font ce qu’ils peuvent », « Une personne qui agresse est une personne qui va mal, ou qui a peur », « Respire avant de répondre ». Et pour des proches : « Cette personne t’aime, même si elle est en train de t’agresser.

Christophe André
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#37665
Exercices quotidiens de gentillesse Avoir des gestes ou des paroles ou des regards qui feront un peu de bien. « Un peu de douceur dans un monde de brutes », disait il y a quelques années une publicité (pour du chocolat si je me souviens bien). En voiture, s’arrêter à tous les passages cloutés dès qu’il y a un piéton à l’horizon, même si on est pressé, même s’ils se sont arrêtés pour nous laisser passer. On les verra alors hésiter (un automobiliste qui s’arrête sans y être obligé ?) et souvent remercier d’un petit geste en passant. Ce n’est pas si compliqué. On peut aussi, au moins quelques jours par mois, décider de donner à tous les mendiants que l’on va croiser. Vous pouvez essayer, vous verrez, ce n’est pas si cher. Observez dans quel état ça vous met de vous être débarrassé des états d’âme d’hésitation (« Je donne ? Je ne donne pas ? Pourquoi à lui plus qu’à un autre ? ») ou de culpabilité « (J’aurais dû lui donner »). Observez ce que cela vous fait de regarder dans les yeux en donnant, de sourire, de montrer que vous êtres content de donner, au lieu de donner sans regard, à contrecœur. Ce n’est pas grand-chose par rapport à la misère du monde ? Non, ce n’est pas grand-chose. Comme dans le poème d’André Breton : Une étoile, rien qu’une étoile / Perdue dans la fourrure de la nuit.

Christophe André
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#37668
Si, de tout temps, la compagnie des visages souriants a été préférée à celle des visages sombres, il y a une raison : ils nous « contaminent » souvent, surtout si les sourires sont légers, discrets, s’ils sont de disponibilité au bonheur et à l’échange, et pas de démonstration et d’affichage. Et la contamination en sens inverse existe aussi, d’où peu à peu le vide qui se fait autour des personnes moroses et dépressives. Les études sur ce thème montrent6 : 1) que le contact avec des personnes tristes augmente les états d’âme négatifs chez tout le monde, 2) qu’en plus, il abaisse les états d’âme positifs chez ceux qui se sentent les plus « connectés » aux autres humains. Afficher sa tristesse fait donc de la peine à tout le monde, et éteint la joie des humains altruistes et compassionnels.

Christophe André
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#37669
André Comte-Sponville écrit que « le tragique, c’est tout ce qui résiste à la réconciliation, aux bons sentiments, à l’optimisme béat ou bêlant ». Ouille ! Puis : « C’est la vie telle qu’elle est, sans justification, sans providence, sans pardon. » D’accord, d’accord… Et enfin, il précise : « C’est le sentiment que le réel est à prendre ou à laisser, joint à la volonté joyeuse de le prendre. » Ouf, on respire. Il ajoute ailleurs : « Quant à ceux qui prétendent que le bonheur n’existe pas, cela prouve qu’ils n’ont jamais été vraiment malheureux. Ceux qui ont connu le malheur savent bien, par différence, que le bonheur aussi existe. » La pragmatique du bonheur et du malheur s’éprouve dans la chair…

Christophe André
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#37670
Peut-être d’ailleurs que le bonheur n’est pas tragique mais simplement lesté de tragique, et ce lest lui donne toute sa valeur, sa saveur, et nous rappelle son impérieuse nécessité.

Christophe André
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#37671
Aspirer durablement au bonheur, à un bonheur qui n’impose pas le retrait du monde dans une citadelle dorée, qui n’impose pas l’abrutissement de nos états d’âme dans l’alcool, les drogues, les jeux vidéo, ou le travail acharné, cela nécessite d’accepter le monde tel qu’il est : tragique. Le bonheur n’est pas une bulle spéculative, dans laquelle on se replierait, basée sur le pari d’un univers qui serait fait pour le bonheur. L’intelligence de nos états d’âme nous aide à comprendre cela : il ne peut exister d’intériorité climatisée, mais seulement une intériorité vivante, où les états d’âme de souffrance mettent en valeur la nécessité des états d’âme de bonheur.

Christophe André
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#37672
Ce sentiment bizarre que la tristesse n’est parfois qu’une joie usée, un bonheur qui a fait son temps… Si nous nous accrochons à eux, nos bonheurs peuvent devenir tristesses. Il faut accepter de passer son chemin, abandonner ce bonheur mort. Accepter qu’il y ait ainsi des tas de cadavres de petits ou grands moments heureux derrière nous. Accepter qu’ils ne survivent que sous forme de souvenirs. Ne pas s’attacher ni s’agripper à eux précisément, à ces instants, mais à l’idée même de bonheur.

Christophe André
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#37673
D’autres études montrent comment vieillir peut donner plus d’aptitude au bonheur et par quels mécanismes proches de la sagesse : par exemple, par le fait de se tourner sur son passé en le considérant sous la forme d’un apprentissage et d’un développement continu. En faisant cela, on se rapproche de l’essentiel : ce n’est pas de vieillir qui est une chance, c’est d’avoir vécu, et vécu beaucoup d’expériences, pleinement, d’y avoir réfléchi, de s’en être réjoui et enrichi.

Christophe André
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#37674
Se rendre heureux : raisons et arguments. J’ai rencontré une fois un professeur de bonheur : tout ce qu’il y avait de plus sérieux, ce collègue psychologue avait un boulot de rêve, enseigner la psychologie du bonheur aux étudiants de Harvard. En écoutant une de ses conférences, j’avais été amusé et surtout intéressé par une de ses comparaisons économiques : la banqueroute affective, qui nous rappelle que notre âme humaine peut faire faillite, comme une entreprise. Pour demeurer solvable, cette dernière doit faire des bénéfices : il faut que, au moins sur la durée sinon à chaque instant, ses recettes soient supérieures à ses dépenses. Il en est de même avec notre esprit : tant que les états d’âme agréables sont plus fréquents ou significatifs que les états d’âme désagréables, nous aurons le sentiment que notre vie vaut la peine d’être vécue. Dans le cas inverse, ce sera plus difficile…

Christophe André
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#37675
D’où l’intérêt, pour celles et ceux qui souhaitent muscler les 40 % de leur bonheur qui dépendent d’eux-mêmes, de travailler à s’en rapprocher. On peut décider de travailler à son bonheur. C’est ce que Spinoza appelle : « Rechercher la joie par décret de la raison. » Et, contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent ou affirment, bien des changements sont toujours possibles. De même, les efforts pour conduire le changement sont bénéfiques en eux-mêmes. On a par exemple pu montrer que les personnes engagées dans des voies du développement personnel vivent mieux et plus longtemps. Nos efforts pour nous rapprocher du bonheur nous font eux-mêmes du bien. C’est sans doute pour cela que Jules Renard disait : « Le bonheur, c’est de le chercher. »

Christophe André
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#37678
Les pensées positives du soir. Cet exercice est un classique de la psychologie positive. Il consiste à se demander chaque soir peu avant de s’endormir : quels bons moments ai-je vécus aujourd’hui ? Souvent, les personnes à qui l’on propose ce travail commencent par chercher non pas de bons moments mais des grands moments, des grandes joies. En fait, ce sont simplement des petits bonheurs que l’on suggère d’évoquer, dans une démarche simple. Nous disposons de travaux montrant les bénéfices de ces exercices. Bénéfices qui semblent plus clairs encore lorsqu’on demande de centrer ces pensées positives sur des états d’âme de gratitude : en quoi ces bons moments que j’ai vécus sont-ils dus à d’autres personnes ? Penser alors aux gestes directs dont j’ai bénéficié, mais aussi indirects : les humains qui ont créé et entretenu le sentier sur lequel j’ai marché, ceux qui ont écrit et joué la musique que j’ai écoutée, fait pousser le fruit que je mange…

Christophe André
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#37679
En général, l’urgent est bruyant et nous mobilise ; difficile de lui résister. Tandis que l’important est silencieux, et se laisse oublier, sans bruit, tout doucement.

Christophe André
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#37680
Une vaste étude, auprès de cinq mille personnes suivies pendant vingt ans, vient de le confirmer. Quelle heureuse nouvelle ! Elle montre que le bonheur est doucement contagieux, et se transmet par notre réseau social : une personne heureuse contamine les autres jusque dans le troisième cercle de ses connaissances. C’est-à-dire que votre bonheur va bénéficier à vos amis, aux amis de vos amis, et que son influence sera encore perceptible chez les amis des amis de vos amis. Au-delà, évidemment, il n’y a plus grand-chose : le bonheur n’obéit pas aux lois de l’homéopathie. Attention : pour que cet effet d’induction soit tangible, il faut que la personne que vous touchez habite près de chez vous (un à deux kilomètres) et que vous la croisiez régulièrement : votre bonheur ne fera pas de bien à qui habite trop loin de vous, ou ne vous voit pas assez souvent.

Christophe André
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#37681
Se réveiller heureux ? « Je m’éveille le matin avec une joie secrète ; je vois la lumière avec une sorte de ravissement. Tout le reste du jour, je suis content. » Ce veinard de Montesquieu ! Personnellement, ça ne m’arrive pas souvent de m’éveiller le matin avec une joie secrète. Mais ce n’est pas grave, j’aime bien y travailler quand même, obstinément. Je m’obstinais, depuis des années, lorsque je suis un jour tombé, je ne sais où, sur cette formule qui m’a ravi : « L’obstination à être heureux. » C’est ça, c’est exactement ça…

Christophe André
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#37685
Talmud, traité des principes (IV, 1) : « Quel est le vrai sage ? C’est celui qui ne dédaigne les leçons de personne. » Puis (en V, 7) : « Sept choses distinguent le sage de celui qui ne l’est pas : 1) Il ne prend pas la parole en présence de celui qui le dépasse en sagesse ; 2) Il n’interrompt pas celui qui parle ; 3) Il ne répond pas avec précipitation ; 4) Il interroge avec méthode et répond avec justesse ; 5) Il discute les questions dans l’ordre dans lequel elles ont été posées ; 6) Quand il ne comprend pas une chose, il le dit ; 7) Et il rend hommage à la vérité. »

Christophe André
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#37686
Nous ne pouvons pas faire disparaître nos défauts, mais nous pouvons en devenir moins dupes.

Christophe André
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#37687
Je me souviens par exemple de ces propos fort sages d’un journaliste politique : « Je ne crois pas en l’objectivité mais en la maîtrise de la subjectivité. ».

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37690
Finalement la sagesse, c’est peut-être l’art de l’après-coup : au lieu de passer à autre chose, on prend d’abord le temps de réfléchir à ce qui a eu lieu, sans craindre que cela nous déstabilise, ni nous fasse souffrir.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37691
Lorsque nous sentons l’incertitude, nous préférons la remplacer par des certitudes, même exagérées ou erronées. Or la sagesse, ce n’est pas d’avoir des certitudes, mais c’est de tolérer nos incertitudes. On les examine, on y réfléchit, mais on en accepte l’existence et l’évidence.

Christophe André
(Les États d'âme: Un apprentissage de la sérénité)


#37692
Aimer la simplicité Dans la plupart des traditions, la sagesse passe par la simplicité. Pour une raison que Paul Valéry a parfaitement saisie : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable. » Car il existe deux sortes de simplicité : l’une est pauvre, l’autre est riche ; l’une est paresse, l’autre approfondissement ; l’une est restée en deçà de la complexité, l’autre est allée au-delà. La première forme de simplicité n’a pas pris le temps de la réflexion : elle n’est que platitudes et affirmations gratuites ou passe-partout, ne reposant sur rien ou presque. Elle peut d’ailleurs se dissimuler derrière un jargon savant, derrière la « fausse profondeur » dont se moquait le même Paul Valéry. La seconde forme de simplicité est celle qui est issue d’une quête, d’une réflexion, et d’une pratique répétée, partagée. C’est de cette simplicité que Léonard de Vinci disait qu’elle était le « raffinement suprême ». Et face aux conseils simples de sagesse, l’intelligence, ce n’est pas de dire « C’est trop simple » et d’en rester aux arguments de principe, mais c’est d’avoir l’honnêteté d’essayer : « Je l’ai fait ou pas ? » et de conclure sur les faits, non d’en rester aux jugements.

Christophe André
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#37693
S’appuyer sur ses folies pour construire sa sagesse « Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’il croit. » La maxime de La Rochefoucauld est belle et mémorable, c’est son but. Mais elle est aussi profonde, car elle permet de réfléchir dans toutes les directions. Que signifie-t-elle pour vous ? Elle m’évoque personnellement ces mots de Svâmi Prajnânpad, maître spirituel indien : « Ne cherchez pas à supprimer vos désirs. Cela mène inévitablement au désastre. » Nos déséquilibres intimes sont comme autant de rappels à l’ordre et de moyens pour nous donner inlassablement de quoi nous exercer à nos résolutions de sagesse. Et puis, tant d’histoires de sages ressemblent à des histoires de fous ! Comme celle-ci, que je raconte souvent à mes patients timides, lorsque nous travaillons sur l’affirmation de soi : c’est à Athènes, vers 350 avant notre ère. Le philosophe Diogène est immobilisé devant une statue, à qui il tend la main depuis des heures. Un attroupement commence à se former, et les passants l’interpellent : « Diogène, pourquoi fais-tu ça ? » Et lui de répondre : « Pour m’entraîner au refus. » Fou ou sage ?

Christophe André
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#37696
Tzvetan Todorov : « Tous ne peuvent être victorieux en même temps, alors que tous peuvent vivre en paix : cette valeur est donc universalisable, à la différence de l’aspiration à la suprématie. » Amour, ouverture, respect, écoute sont les valeurs de la sagesse et sont universels : tous les humains peuvent être sages ensemble…

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#37697
Nous changer pour changer le monde. Un dernier argument pour nous inciter à la pratique de la sagesse. Cette remarque d’Etty Hillesum : « Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. ». Si nous souhaitons que le monde soit plus sage…

Christophe André
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Le contenu de cette page a été mis à jour pour la dernière fois le samedi 7 janvier 2023.
Il était alors 17:24:36 (Heure de Paris, France, planète Terre - Univers Connu).
mandarin : 你的预感 | français : Mon Ange | anglais : My angel | mandarin : 拉兰德 | espagnol : Una corazonada de ti | allemand : Neuigkeiten hinter der Scheibe. | anglais : To the wrath of the righteous | français : Une intuition de toi | français : Qui est Seth Messenger ? | mandarin : 正义的愤怒 | anglais : You would like to read more? | français : Mon nom est Pierre | français : Patience | anglais : A hunch of you | anglais : The Wait | allemand : Wer ist Seth Messenger? | allemand : Mein Engel | anglais : New beginning | allemand : Die Lande | espagnol : Mi nombre es Peter | allemand : Auf die Wut des Gerechten | espagnol : La Lande | français : Aux colères du juste | espagnol : ¿Quién es Seth Messenger? | anglais : My name is Pierre | mandarin : 来自玻璃后面的消息 | espagnol : Va a pasar cerca de ti. | français : Ca arrivera près de chez vous | espagnol : Nuevo comienzo | allemand : Neuer Anfang | anglais : Who is Seth Messenger? | mandarin : 耐心 | anglais : The Moor | allemand : Geduld | espagnol : Paciencia | anglais : It's going to happen near you | mandarin : 我的天使 | français : La Lande | espagnol : A la ira de los justos | mandarin : 我叫彼得 | espagnol : Noticias desde detrás del cristal | anglais : News from behind the glass | mandarin : 你想多读些吗? | allemand : Mein Name ist Pierre. | allemand : Möchten Sie mehr lesen? | français : Nouveau départ | espagnol : Mi ángel | français : Vous aimeriez en lire d'avantage ? | allemand : Es wird in Ihrer Nähe passieren. | mandarin : 赛斯信使是谁? | français : Des nouvelles de derrière la vitre | espagnol : ¿Le gustaría leer más? | allemand : Eine Ahnung von dir | mandarin : 它会发生在你附近。 | mandarin : 新开始 |
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